Il Pirro
Pirro, Dramma per Musica da Rappresentarsi Nel Real Teatro di S. Carlo Nel De 12 Gennaro 1787 Festeggiandosi la Nascita di Ferdinando 4. Nostro Amabilissimo Sovrano Ed Alla S. R. M. Dedicato
Livret de Giovanni De Gamerra, musique de Paisiello
Polinessa (Polyxène), fille de Priam, prima donna : soprano, F. Danzi-Lebrun
Pirro (Pyrrhus), primo tenore : ténor, Giacomo David
Darete (Darès), primo uomo : soprano, F. Roncaglia
Ulisse (Ulysse), secondo uomo : contralto, A. Monani
Climene (Climène), seconda donna : Lucia Serafini Poletti
Elena (Hélénus), frère de Polyxène : ténor, non précisé
Calcante (Calchas) : basse, Giovanni Bordiga
Troie est prise ; c'est à Troie et dans les champs phrygiens que l'opéra a lieu. Pyrrhus, fils d'Achille, a enlevé Polyxène, fille de Priam. Vainqueur et captive sont tombés amoureux l'un de l'autre. Les autres personnages sont Darès, prince phrygien à qui Polyxène est promise, Hélénus, frère de Polyxène, Climène, princesse du sang des Atrides qui était destinée à Pyrrhus, et Ulysse, chargé par les Grecs d'exiger que Polyxène soit sacrifiée sur le tombeau d'Achille. Le prêtre Calchas intervient brièvement.
N.B. : La partition examinée est apparemment celle de la reprise napolitaine de 1790, avec Anna Morichelli en Polinessa.
Acte I
L’opéra débute sur une scène d’exposition, tous les protagonistes étant réunis (sauf Calchas) autour du trône de Pyrrhys. Ce dernier annonce qu’il épousera Polyxène, au mépris des prétentions d’Ulysse et des Grecs, de Climène et Hélénus qui enragent, et d’un Darès qui voit son amour lui échapper. Étonnant de commencer une œuvre par un sextuor en 1787 ! Après une marche, l’opéra prend une déroulement plus classique avec des scènes intimes : air d’Ulysse aiguillonné par Climène (Quando le Argive schiere), scène entre Darès et Polyxène, qui l’éconduit, conclue par un accompagnato et un air du castrat (Vado… ma pria vorrei), puis intervention d’Hélénus, lui aussi opposé au mariage (No, non mi palpita). Polyxène converse ensuite avec Ulysse puis Pyrrhus qui jure de la protéger tout en défiant Ulysse (Di chi t’adora allato). Restée seule après avoir assisté à tous ces discours – marque d’une vraie prima donna, dont le spectateur a avidement attendu le premier air au fil de ces scènes –, Polyxène peut enfin exhaler sa douleur dans un récitatif accompagné (Basta così! La Grecia vuol il mio sangue, e l’avrà) et un grand air agité (Perfida sorte irata) avec hautbois obligé, partie assurément interprétée par l'époux de la chanteuse, le célèbre hautboïste Lebrun. La tension retombe un temps avec un andante de la seconda donna (Non han tale merce), avant le final qui réunit à nouveau les six protagonistes. Hélénus tente de poignarder Pyrrhus mais est désarmé par Polyxène, surprise par Pyrrhus avec le poignard qu’elle vient d’arracher à la main ; le rusé Ulysse en profite pour affirme que Polyxène entendait bien assassiner Pyrrhus pour venger son père. Elle reste abasourdie et Pyrrhus lui promet la mort : fin du premier acte dans la stupéfaction générale.
Acte II
Climène et Ulysse continuent de comploter contre Polyxène (air de Climène All’alma smarrita). Ulysse rejoint par Pyrrhus l’enjoint à punir Polyxène (Ah non lasciarti vincere). Polyxène attend la mort, Darès joint son chant à elle (L’ultimo istante attendo… Al mio destin deh! lasciami) dans une scène accompagnée qui devient duo. Scène et air d’Hélénus en guise de respiration (Voi lo sapete o Dei). Climène et Ulysse raillent Darès et Polyxène : Darès explose dans un accompagnato auquel se joint Polyxène, et interprète un allegro (Perfidi! L’amor mio Ah si tutto oserà... Agitato in tante pene). Polyxène interpelle à son tour Climène et Ulysse dans un andante maestoso richement accompagné (Morir si deve).
Pyrrhus seul est en plein dilemne (accompagnato Quando mi sorprende). Polyxène paraît et s'offre au sacrifice tout en répétant son amour et se disculpant ; dans un rondo célèbre (Cara negl’occhi tuoi) Pyrrhus se refuse à la sacrifier malgré les injonctions d’Ulysse qui les rejoint ; c’est le sommet dramatique. Suit le sextuor final (D’un infelice oppressa).
Acte III
Polyxène est promise au sacrifice. Darès et Pyrrhus sont horrifiés mais la princesse est déterminée (trio Incerto, pentito). Calchas intervient : « Abbia fine il dolor ». Un oracle de Jupiter a finalement épargné Polyxènes, l’ombre d’Achille est en paix. Soulagement de tous. Pyrrhus renonce à Polyxène et la cède à Darès ; il épousera Climène. Hélénus implore son pardon et Polyxène se promet de remplir son devoir : elle oubliera Pyrrhus. Un bref chœur des solistes achève l’ouvrage.
Création et réception
L’ouvrage semble récolter un beau succès d’emblée. Paisiello est alors au sommet de son art, et n'est pas qu'apprécié dans l'opéra bouffe ; le librettiste G. De Gamerra avait déjà conçu le Lucio Silla mis en musique par Mozart puis J.C. Bach, deux autres de ses livrets rencontrant une belle renommée et plusieurs mises en musique : Il Medonte, re di Epiro (décidément, encore l'Épire) et Erifile. Dans Il Pirro, les dilemmes qui déchirent les personnages sont de la pure tradition de l’opéra séria, tout comme le sacrifice par amour ou par devoir, ainsi que le renoncement aux passions : la prima donna finit même par épouser celui qu’elle n’aime pas, chose remarquable ! À cette époque, le troisième acte a tendance à se réduire, comme ici, quand il ne disparaît pas tout à fait (déjà dans L’Olimpiade remanié pour Cimarosa en 1784). La complexité de certaines scènes avec plusieurs personnages, notamment des fins d'acte riches en action et le nombre d’ensembles – dont l’introduction – s’inscrivent dans la lignée des innovations en vogue au fil des années 1780 et surtout 1790 dans le grand genre, s'inspirant de l'opéra bouffe : Mazzolà révisera La Clemenza di Tito dans ce sens pour Mozart, et ces tendances s’affirment dans le fameux Gli Orazi e Curiazi de Cimarosa et Sografi (décembre 1796), contribuant à asseoir le modèle dont hérite Rossini. Paisiello poursuit ses innovations formelles en 1792 dans I Giuochi di Agrigento (Pepoli, Venise) et Elfrida (Calzabigi, Naples).
Les chanteurs, excellents, sont certainement pour beaucoup dans ce succès : Danzi-Lebrun est avant tout une virtuose à suraigus mais l’opéra repose principalement sur le rôle titre, qui échoit ici au plus grand ténor du moment, David. Le primo uomo est un peu en retrait – il n'est pas aimé et demeure assez passif – mais Roncaglia est alors en fin de carrière, et plus doué dans le registre tendre et galant que dans les grands éclats dramatiques. En Ulysse, le contralto Monanni n'est plus tout jeune non plus mais est toujours un second rôle recherché.
L’œuvre connaît de nombreuses reprises et s’impose comme le véhicule favori de Giacomo David et des autres ténors réputés de l’époque. Dès 1787, on l’entend à Venise avec Matteo Babbini, qui le chante aussi à Trieste (1789) ; Ansani l’interprète à Florence (1791, distribution ci-contre) et Reggio (1792) ; David lui-même reprend son rôle à Bologne, Gênes et Naples (1790), Livourne et Venise (1792), Florence (1793), Trieste (1794), Vérone (1800)... On entend Pirro jusqu’à Varsovie (1790), Leipzig (1793 avec A. Baglioni), Ljubljana (1795)… L’opéra est donné à Vérone (1794) et Rome (1798). À Londres, en 1791, Il Pirro échoue, et ne plaît pas plus lorsqu'on le reprend en 1809 (sous quelle forme ?) ; le Times y voit néanmoins le chef-d’œuvre sérieux du compositeur.
En 1810, Napoléon permet au Théâtre-Italien de Paris de représenter des opéras sérieux, alors que le public parisien n’a connu que l’opéra bouffe jusqu’alors. Le choix s’arrête sur Il Pirro de Paisiello, compositeur chéri de l’empereur et apprécié du public pour son répertoire léger. Le Mercure de France relate :
Pirro fut joué, pour la première fois, en 1787 sur le grand théâtre de Naples. La musique était la meilleure que Paisiello eût faite dans le genre sérieux ; le rôle de Pyrrhus était chanté par le célèbre David, ceux de Darès et de Polyxène par un soprano et une prima donna du plus grand talent, les décorations et les habits magnifiques : le succès fut prodigieux.
Jean Mongrédien a publié un article sur cette expérience intéressante, source de débats dont le milieu musical français a toujours été friand. On a certes largement modifié l’opéra pour cette production, et d’autres pages proviennent des Giuochi di Agrigento de Paisiello ou sont signées Farinelli, Orgitano, Nasolini et Spontini… La diva Francesca Festa, ensuite grande rossinienne, ne reprend pas les airs originaux de Polinessa et chante par exemple un air d’Artemisia de Cimarosa. Pyrrhus est confié au célèbre Crivelli mais Darès devient un second ténor, tandis qu’Hélénus passe de contralto à basse (Angrisani). Le succès est au rendez-vous, mais Paër s'insurge contre la défiguration de l'essentiel de la partition.
En 1811, le San Carlo de Naples reprend une nouvelle fois ce Pirro, avec en tête d'affiche Giacomo David, qui l'avait créé 24 ans plus tôt ! Darès est évidemment chanté par une soprano, la célèbre Elisabetta Pinotti, comme cela avait été le cas à Londres en 1809.
La version de Zingarelli
En 1792, Zingarelli propose sa propre version du livret à Milan. La distribution marque un certain retour en arrière, puisque le rôle titre est cette fois-ci confié au castrat Luigi Marchesi. Darès est également chanté par un soprano, Gasparo Savoj, qui n’est alors plus tout jeune ! Polyxène est une certaine Francesca Boccarelli, et Ulysse est confié au ténor Giuseppe Carri, artiste notable de cette époque. Il serait toutefois exagéré de voir dans ces choix de distribution la marque d'un conservatisme volontaire ; on agit alors plutôt avec pragmatisme en respectant strictement la hiérarchie des chanteurs, établie selon leur valeur et leur célébrité. Pour Paisiello, le ténor David était le plus célèbre et devait avoir l’ascendant sur le castrat Roncaglia. Zingarelli tient incontestablement en Marchesi la vedette de sa production et doit naturellement lui attribuer le rôle le plus riche et valorisé du livret.
C’est d’ailleurs surtout pour Marchesi que l’opéra est modifié çà et là, par rapport au livret mis en musique par Paisiello : dès le premier acte son premier air soliste devient ainsi « Fidati al braccio mio ». L’air de Polyxène est également nouveau, et le final du I est resserré en trio entre Pyrrhus, Polyxène et Ulysse.
Au second acte, l’air d’Ulysse est changé en duo avec Pyrrhus. Darès et Hélénus ont droit à un nouvel air chacun avec une marche annonçant le cœur dramatique de l’opéra. Polyxène et Ulysse y chante chacun un grand air avant la grande et belle scène de Pyrrhus rejoint par Polyxène (Qual mi surprende e agghiaccia), dans laquelle elle se disculpe avant son sacrifice promis – auquel renonce son amant, qui interprète le fameux « Cara negli occhi tuoi ». Le final arrive et ne réunit « que » Polyxène, Ulysse, Pyrrhus avec Calchas et le chœur.
Le troisième acte débute sur une scène entre Polyxène et Darès puis une scène accompagné avec Pyrrhus conclue par un rondo de ce dernier (Agitato e tremante… Chi mi da consiglio), dans lequel interviennent Polyxène et même le chœur ! On y reconnaît le modèle du grand air soliste avec chœur de Mayr et Rossini. Calchas intervient et les solistes chantent un ensemble final. C'est évidemment à talent de Marchesi qu'il faut attribuer cet accent mis sur le rôle titre !
Marchesi reprend ce rôle flatteur à Bergame (1793), puis à Venise en 1793 avec la contralto Grassini. Cette version est sans doute très remaniée ; d’ailleurs le conte Pepoli fait donner un Pirro sur son théâtre privé l’année suivante avec la musique de Zingarelli mais aussi de Gardi, Nasolini, Bianchi et d’autres encore. Marchesi est ensuite Pyrrhus à Vicence (1794), Venise (1795) et Faenza (1796). C’est une chanteuse en travesti qui reprend le rôle – signe des temps – à Milan et Florence (1792), Parme (1799) et Bergame (1800). L’œuvre est aussi donnée à Vienne (1798), lors d’une visite de Marchesi qui y présente naturellement ses rôles fétiches du moment (Pirro de Zingarelli et La Lodoiska de Mayr).
Outre les reprises des opéras de Paisiello et Zingarelli, les principaux airs d’Il Pirro, notamment Cara, negl’occhi tuoi, circulèrent abondamment en Europe et furent chantés en concert. Les innovations du livret de Gamerra et le pathétique si fragile des années 1790 font de ces opéras des jalons importants de l’opéra sérieux de cette époque ! Il faut remercier Ann Hallenberg d’avoir gravé deux scènes de la version de Zingarelli (l’une d’elle malheureusement sans le chœur requis) ; à présent, on voudrait entendre l’intégralité de l’opéra de Paisiello avec une distribution à la hauteur.
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