Anna Morichelli naît à Reggio Emilia en 1745 ou 1760, selon les sources. On apprend qu'elle est l'élève du célèbre castrat contralto Guadagni. C'est fort jeune qu'elle fait ses débuts à Parme, apparemment dotée d'un double registre de soprano et d'alto ! Elle interprète le répertoire seria mais aussi l'opera buffa, alors en grande vogue, et requérant de plus en plus de chanteurs capables d'apporter la virtuosité figurative du grand genre aux protagonistes de demi caractère.
Après avoir parcouru les scènes italiennes, dont Bologne en 1773 pour La Giannetta d'Anfossi (ce qui ne lui donnerait que treize ans si l'on se range à l'hypothèse d'une naissance en 1760), Anna Morichelli est conviée à St-Pétersbourg en 1779, ville où la tsarine gratifie très généreusement les chanteurs et parvient à attirer les meilleurs interprètes italiens dans une région dont le climat est souvent jugé hostile. En 1781, Anna Morichelli se produit à Hambourg et Leipzig, puis retourne en Italie.
En 1781-82 puis 1787-88 et 1792, elle fait partie de la prestigieuse troupe viennoise, qui compte les meilleurs chanteurs bouffes d'Europe et héberge des compositeurs de renom, chargés de mettre en musique des livrets des célèbres Casti et Da Ponte. La Morichelli chante notamment L'Arbore di Diana de Martín y Soler – l'un de ses compositeurs favoris – avec Luisa Laschi.
Elle est également au théâtre de Monsieur à Paris à partir de 1790 et jusqu'en 1792 (exceptée une parenthèse à Turin) : c'est dans Le Due Gemelle de Guglielmi qu'elle débute, ce qui lui permet de déployer ses talents dramatiques en interprétant deux jumelles de caractère opposé. Morichelli donne Nina ossia La Pazza per amore traduit de l'original français de Dalayrac, et crée Il Signor di Pursognac de Jadin, souvent accompagnée de Stefano Mandini et de la basse Rovedino : la scène de folie de Nina lui vaut un immense succès, en pleine querelle des bouffons. Le Moniteur universel du 1er juin 1790 constate que :
madame Morichelli possède en effet toutes les qualités que l'art peut donner à une cantatrice ; que sa voix est forte, sonore, flexible, étendue ; que son chant, plein de grâce, de noblesse et de sensibilité, même jusqu'à la grande expression, prouve qu'elle est également propre à tous les genres, et qu'elle s'est exercée avec succès dans l'opéra sérieux.
En effet, la Morichelli n'hésite pas à insérer des pages de son répertoire serio dans les opéras bouffes : l'air Tu me da me dividi de L'Olimpiade de Paisiello, ou toute une scène d'Andreozzi.
Outre ces prestations à l'étranger, sa carrière se développe évidemment en Italie : En 1784 on la découvre à Bergame dans Medonte de Sarti et à Milan dans Semiramide de Mortellari (Tomiri) ; elle chante abondamment comme prima donna à Naples, créant divers opéras de Guglielmi, Ifigenia in Aulide de Pleyel avec Roncaglia et Mombelli ou encore L'Olimpiade de Paisiello en 1785-86. La Morichelli est à Turin l'année suivante, et accompagne Crescentini et Babbini, notamment dans Il Trionfo di Clelia de Tarchi. La soprano est de retour au San Carlo pour 1789-90, interprétant l'opera seria (dont La Disfatta di Dario de Guglielmi). Pour le carnaval 1790-91, elle est à Turin et chante dans Médée dans La Conquista del vello d'oro de Gaetano Isola, avec les castrats Savoj et Martini.
Elle est à Londres pour la saison 1794-95, chargée d'interpréter le genre léger puisque Brigida Banti a le monopole de l'opera seria. Da Ponte précise dans ses mémoires qu'elle n'est alors plus de première jeunesse et qu'elle n'a jamais brillé par sa beauté, mais explique son succès par « sa tenue sur la scène et la noblesse de son jeu, plein d'expression et de grâce. » Il relate par le menu les rivalités entre la Morichelli et la Banti dont aucune ne trouve grâce à ses yeux, humainement, et dresse un portrait peu flatteur de la soprano en fausse ingénue perfide et rouée. Après une reprise du Burbero di buon core déjà chanté à Vienne, La Capricciosa corretta écrite par Martín y Soler sert de carte de visite à la Morichelli, face à un opera seria de Bianchi dans lequel chante la Banti : c'est l'opéra bouffe qui l'emporte. Morichelli, par ailleurs maîtresse du compositeur espagnol, chante ensuite L'Isola del piacere, dans lequel elle exige de Da Ponte qu'il intègre une scène de folie propre à renouveler son succès dans Nina, mais c'est un échec et la soprano quitte Londres pour Venise à la fin de la saison. En 1797, elle y crée Avviso ai maritati de Mayr et le rôle titre d'Adelina de Spontini, avec Luigi Brida.
La Morichelli est en outre considérée comme une grande interprète de Nina de Paisiello, l'une des œuvres les plus jouées du temps. Outre ce compositeur, elle sert abondamment Cimarosa et Guglielmi, et la nouvelle génération de musiciens comme Paër et Mayr. L'occupation française en Italie lui faire perdre une partie de sa fortune, ce qui aurait motivé son maintien tardif sur scène. Après avoir interprété Orazia des Orazi e Curiazi de Cimarosa, Morichelli décède. Sa partenaire dans cette production n'est autre que son élève Angelica Catalani, appelée à devenir une légende du chant.
À l'instar de Nancy Storace et surtout la Ferrarese ou Clementina Baglioni, la Morichelli a su apporter au genre bouffe une technique d'acier rompue à l'opera seria, ce qui l'amène à interpréter des airs vocalisants – parfois à des fins parodiques, comme les interventions emphatiques de Ciprigna dans le quintette Toglitti agli occhi miei – dont le difficile air de la déesse Diane.
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