Giovanni Ansani est l'un des ténors les plus recherchés de son époque. Né à Rome, il est possible qu'il reçoive quelques leçons du vieux Porpora. On raconte parfois qu'il rencontre J. S. Bach.
Ses traces sont un peu sporadiques dans les années 1760 : on le trouve à Pise en 1763-64 avec le castrat Grassi (L'Olimpiade), puis en 1766 à Città di castello, et en 1768 à Bologne, puis l'été à Venise dans le Demetrio de Pampani avec Carlo Nicolini, notamment.
C'est suffisant pour qu'on l'engage pour le carnaval 1768-69 à Prague où il crée par exemple Alessandro nell'Indie de Kozeluch avec Priori et la soprano Calori. Après un bref passage en Italie (Udine), Giovanni chante à Copenhague en 1770-71, puis à Stockholm en 1772.
Sa gloire semble acquise, et le voici dans de nombreux rôles de premier plan dans les meilleurs théâtres italiens des années 1770 : La Clemenza di Tito de Mysliveček et Ipermestra de Naumann à Venise en 1773, avec la Schindlerin ; Aurora de Pugnani à Turin à l'occasion des noces du prince Carlo Emmanuele IV en 1775, avec le Bastardella ; et Naples très régulièrement entre 1776 et 1779 où il chante Platania, Mysliveček, Paisiello avec E. Teyber, Rubinelli, Marchesi, et son épouse, la fameuse virtuose Giuseppa Maccherini. Cette dernière semble dotée d'un aussi mauvais caractère que lui, et la légende rapporte que si l'un remporte trop de succès, l'autre en prend ombrage au point d'aller au théâtre siffler ! Pendant cette décennie, le ténor est aussi applaudi à Milan, Livourne, Rome, Alessandria, Pise, Florence...
En 1780-81 et 1781-82, Ansani est engagé à Londres, avec Roncaglia et Danzi-Lebrun. Il chante notamment le pasticcio Ricimero. Mais les concerts du Pantheon sont tellement bien rémunérés qu'il se produit essentiellement dans ce cadre-là. En outre, son caractère s'accorde mal avec celui du maestro Sacchini et du castrat Roncaglia : il quitte la saison en cours. Lorsqu'il revient finalement à Londres, il sait néanmoins faire profil bas face à l'immense talent du soprano Pacchierotti, d'autant qu'il récolte autant de succès critique (L'Eroe cinese de Rauzzini). Burney est très élogieux sur Ansani, l'un « des meilleurs chanteurs dans
le genre » [serio] ; « avec une
excellente voix de ténor, […] grand, mince, raffiné,
doté d’un goût sûr et faisant preuve d’expressivité
dans les mouvements lents et d’une grande clarté
dans le presto, il était capable d’exécuter les passages les plus rapides dans les
airs de bravoure. »
De retour sur le continent, son succès ne se dément pas à Gênes, Pise, Livourne, Florence, Vérone, Rome (Giunio Bruto de Caruso en 1785 avec les sopranos Galeazzi et Porri), Modène, Reggio Emilia, Trieste, Padoue, Lucques... Venise l'applaudit en 1788 dans l'Arsace de Guglielmi, avec Teresa Saporiti. En 1790-91, Ansani s'illustre Florence où il donne à deux reprises Teseo a Stige de Nasolini. Il est ensuite à Turin avec le castrat Senesino (Andrea Martini) dans Atalanta de Giordani, puis Reggio Emilia, Livourne. À Florence, en 1794 Ansani paraît dans Le Feste d'Iside, avec la soprano Teresa Bertinotti et le castrat Girolamo Bravura, œuvre qu'il reprend à Reggio Emilia. Fin 1796, Ansani paraît (une dernière fois ?) dans l'oratorio L'Ombra di Samuele d'Aloisi, à Florence, mettant fin à une brillante carrière.
Une anecdote rapportée par Castil-Blaze illustre le succès des grands ténors de l'époque : Giacomo David, autre ténor d'exception, s'arrête un jour pour découvrir son rival qui chante alors à Bologne. Alors que le public acclame l'interprète, David commente d'un laconique « ce n'est que ça ! » Quelques années plus tard, Ansani tient sa revanche : David est indisposé et ne peut assurer la fin des séries de représentations du Pirro de Paisiello (sans doute à Livourne, en 1792). Ansani, présent en ville, se présente à l'impresario, ravi de trouver pareille doublure ! Ansani triomphe et David, une fois rétabli, n'ose reprendre le rôle.
Installé à Naples comme maître de chant, légende parmi les ténors, Ansani a pour élève une autre figure mythique de ce registre : Manuel Garcia, qui lui présente ensuite son fils. Ce dernier devient lui-même un pédagogue de grand renom, qui saura utiliser les conseils d'Ansani, qui sait ? peut-être eux-mêmes issus de Porpora.
Il est certain que le rôle d'une figure comme Ansani a été primordial dans l'évolution des typologies vocales et dramatiques à l'opéra. Le fait que tant de légendes existent à son sujet dit bien combien le ténor acquiert un statut eclipsant celui du castrat dans la seconde moitié du siècle, ce d'autant que les moyens de chanteurs comme Ansani, vocalisant avec aisance sur deux octaves et doué d'une grande force expressive, rivalisaient sans mal avec ceux des sopranistes et l'emportaient dans le cœur du public. |