Liste des sopranos

Liste des contraltos

Liste des castrats

Liste des tenors

Liste des basses

OSPEDALE DEI DERELITTI : OSPEDALETTO

L’ospedale dei Poveri Derelitti, aussi nommé Ospedaletto, est créé en 1528 par Girolamo Miani (ou Emiliani), homme d’église aujourd’hui sanctifié. Cette fondation fait suite à une cruelle famine, et à l'afflux d'un peuple affamé venu de l'arrière-pays.

Un développement musical tardif

Santa Maria dei DerelittiLe premier maestro di musica, Bassano (1612-1617), ne semble pas avoir encouragé le développement des activités musicales de l'hospice, qui ne dispose pas d'un instrumentarium particulier, outre l'orgue. De fait, les maestri suivants sont tous organistes : Rovetta (1635), Neri (1650), Legrenzi (1670), Grossi (1676), Biego (1688) et Vinaccesi (1698). Il s'agit néanmoins de bons musiciens, souvent liés à la chapelle de San Marco. En 1662, un maître de violon est nommé et les choses se développent doucement. Le Français Misson, en 1688, affirme que « Vincentine des Hospitalettes est une petite créature qui enchante » : à cette époque, les hospices commencent à déployer leurs charmes dans des concerts. Vinaccesi compose diverses pastorales de Noël, ce qui se rapproche le plus des oratorios, en 1702 et 1704 : il s'agit d'un concert public mis en scène dans une grange pour évoquer la nativité, si bien que le journal Pallade veneta rapporte que « le public se croyait à Bethléem ».
La présence d'Antonio Pollarolo de 1712 à 1716 (puis 1733-1743) est positive : c'est un compositeur d'opéra réconnu, et l'hospice choisit ce moment pour entrer dans l'arène de l'oratorio latin, avec près de vingt ans de retard par rapport aux autres hospices, où Gasparini et C.F. Pollarolo en ont déjà produit une quantité. En 1716, on peut donc entendre Sacrum amoris novendiale in Dei pariturae, et deux autres encore les années suivantes. Dans la première moitié du siècle, les maestre de chant sont les sopranos Giustina, Lucrezia et Lucietta Patelli, et les contraltos Vittoria Bellocchio et Giacomina, elles-mêmes solistes pendant cette période.

Les filles « adultes » dans la course au succès

En 1743, on cherche un successeur à Antonio Pollarolo ; le Vénitien Albinoni se présente, mais plutôt que ce compositeur âgé ancré dans la tradition locale, on préfère miser sur le Napolitain Porpora, célèbre maître de chant et auteur à succès dans l'idiome galant qui séduit à présent le public : il est clair qu'il s'agit de rendre l'Ospedaletto plus attractif. Porpora se lance et laisse de nombreuses partitions brillantes dès 1744 et les années suivantes, puisque son séjour est relativement court et prend fin en 1747.
Il est alors épaulé par une génération de chanteuses de talent, capables de rivaliser avec les étoiles révélées aux Incurabili dans les années 1730 : une des plus remarquables est la soprano Laura Comin, qui chante jusqu'en 1764 en faisant valeur un talent peu commun, puis devient maestra. Porpora semble particulièrement apprécier la contralto Angela Moro, et fait admettre, à presque 16 ans, la contralto Bartolomea [Bortola] Anzolotti, arguant qu'elle est excellente chanteuse, possède une voix rare et un talent naturel ; elle est active jusqu'en 1757. D'autres solistes s'illustrent parmi les meilleures de cette époque, notamment la contralto Barbara Ragazzoni, et les sopranos Caterina Ruspanti, Graziosa Tagliapietra (plus tard maestra de renom), Bernardina [Bernardetta] Forzadin, Caterina Adami, Elisabetta Pia et Regina Borsa.


Pure déclicatesse galante dans ce motet de Porpora destiné à Mlle Tagliapietra

Les quelques années de présence de Porpora ont posé les bases du succès, quand Antonio Pampani prend les commandes en 1747. Dès cette année, il compose un oratorio qui réunit Ruspanti, Adami, Comin, Moro, Tagliapietra, Forzadin, Ragazzoni. Une grande chanteuse de l'Ospedaletto fait également son apparition : Fiorina Vendramin. Elle brille une vingtaine d'années comme soliste.
Néanmoins, la production d'oratorios semble suspendue depuis l'époque de Pollarolo, sans doute pour des raisons économiques ou liées aux effectifs (on se plaint de manquer de contraltos dans le chœur). Dès le milieu des années 1750, les recrutements sont nombreux et constants ; on décide même d'admettre douze filles adultes déjà partiellement formées, dont huit offrent pleine satisfaction : c'est une véritable professionnalisation des effectifs des Derelitti. Les nouvelles recrues solistes s'appellent notamment Margherita Scomparini (uniquement de 1754 à 1756), Rosa Maestrati (1753-1759), Antonia Messana (1757-1767). Plus modestes sont la contralto Antonia Musitelli (1756-1767), Anna Bellemo (1754-1763), Anna Moretti (1760-1767) et Elisabetta Cavalieri (1756-1761). On constate que les séjours sont relativement courts, souvent moins de dix ans. Pampani peut néanmoins recommencer à produire des oratorios, comme Messiae praeconium carmine complexum avec Mlles Vendramin, Anzolotti et Scomparini. En 1760, Prophetiae evangelicae ac mors Isaiae fait valoir les voix de Comin, Vendramin, Messana, Bellemo, Moretti, Maestrati, Cavalieri et Musitelli.

Antonio SacchiniL'Ospedaletto sous Traetta (1765-1768) et Sacchini (1768-1771) :
Avec l'instabilité des effectifs, une nouvelle génération arrivée dans les années 1760 se fait particulièrement remarquer et s'impose auprès des plus fidèles pour interpréter Traetta et Sacchini jusqu'au début des années 1770 : il s'agit de Mari(n)a Frari (liée à la Giacoma Frari des Mendicanti ?), Laura Conti, Domenica Pasquati [Pasquali] et surtout Ippolita Santi et Francesca Gabrieli, toutes deux originaires de Ferrare. Ippolita est admise à pas moins de 23 ans, ce qui aurait du mal à passer pour une œuvre de charité envers une jeune orpheline. Mais elle possède un organe agile sur deux octaves, jusqu'au contre-ré... Plus jeune est Lucia Tonello, qui a 16 ans à son arrivée en 1766. Cette année-là, Rex salomon de Traetta réunit Vendramin, Conti, Frari, Gabrieli, Pasquati et Messana ; l'année suivante, le renouvellement semble complet avec Pulchra ut luna, electa ut sol Traetta avec Conti, Frari, Gabrieli, Santi et Pasquati, toutes très admirées mais pas toujours présentes à long terme.

Burney est à Venise en 1770 et visite tous les hospices ; voici l'impression qu'il tire de l'Ospedaletto :
Ici aussi toutes les interprètes sont des orphelines ; l'une d'elles, la Ferrarese [Ippolita Santi], chanta fort bien, et avait une étendue de voix absolument extraordinaire, car elle était capable d'atteindre le mi le plus aigu de nos clavecins en le soutenant très longuement d'une voix belle et naturelle.
Un autre jour, il décrit plus précisément :
On jouait un oratorio en Latin, le Macchabæorum Mater ; la musique était de Sacchini; il y avait six chanteuses, le rôle de première chanteuse était tenu par Francesca Gabrieli. L'oratorio était divisé en deux parties : la première était déjà terminée lorsque j'arrivais, ce que je regrettais, car ce qui restait m'a totalement ravi et ce tant au niveau de la composition, qui était excellente, que du chant d'un mérite infini. Lorsque j'entrai dans l'église, la Ferrarese [Gabrieli] exécutait admirablement le récitatif d'une façon unique ; il se terminait par un morceau de bravoure, avec une seconde partie pathétique dans le style des oratorio de Jomelli, mais très éloigné de celui de ses airs ; il y avait également un récitatif assez lent chanté par Laura Conti, qui ne possédait pas une voix très puissante ; plus une voix d'opéra de chambre ; mais son expression d'un goût exquis m'a charmé. [...] Les chants que j'avais entendus à l'hôpital ce soir-là, tout comme ceux des Incurabili, j'en suis certain, auraient été fortement applaudis dans le plus grand des opéras d'Europe.

L'Ospedaletto à la saignée : perte de vedettes et pertes économiques

Pasquale AnfossiLes difficultés économiques de l'hospice le conduisent à réduire le nombre de pensionnaires en 1770. En outre, l'Ospedaletto voit ses meilleurs éléments partir en masse : les sœurs Raffaelli pourtant juste recrutées partent après 1773, l'année suivante Pasquati, en 1775 Conti, puis la brillante Lucia Tonello qui part se marier en 1776, parmi d'autres encore. Il faut donc constamment recruter des filles adultes prêtes à l'emploi. En 1771 puis 1772 sont respectivement admises Paola Caldara et Lucia Bianchi ; cette dernière, surnommée Lucietta, a alors déjà 17 ans mais promet d'apporter grandement à la renommée des Derelitti. En effet, grande soprano d'agilité jusqu'au contre-ut, elle s'impose comme l'une des étoiles de l'institution où elle demeure longtemps.
Le maître de chœur est le très célèbre Pasquale Anfossi de 1771 à 1780. Ses pages sont tellement appréciées qu'elles sont reprises ailleurs, par exemple aux Mendicanti. En 1773, il donne Noe sacrificium avec Gabrieli, Santi, Frari, Nicoletta Costantini, Pasquati, Lucia Tonello, Maddalena et Teresa Raffaelli. Après les départs de solistes, la soprano Teresa Ortolani (âgée de 20 ans, liée à Girolama Ortoloni des Mendicanti ?), Elisabetta Bagolin et la très appréciée contralto Anna Maria Capiton (déjà 22 ans) débutent dans Samuelis umbra en 1777 : encore des adultes professionnelles.


Ce dernier recrutement est opportun car en 1778, les problèmes sont tels qu'on décide de ne plus accepter de nouvelles pensionnaires, surtout les fameuses chanteuses adultes, en raison du manque de fonds. Il faut dire que les Incurabili viennent de faire faillite, trahissant la crise traversée par les hospices vénitiens : tous sont frappés. Pourtant, en 1776, l'Ospedaletto a fait mettre la dernière main à une belle salle de musique, riche de trompe-l'œil et d'allusions plaisantes destinées aux privilégiés autorisés à y assister aux concerts des figlie. Guarana y signe une belle fresque représentant Apollon entouré de musiciennes, dont, apparamment, Mlle Bianchi tenant une partition et souriant au public, et derrière elle le maestro Anfossi (voir infra). Les artistes s'amusent à faire figurer deux filles cachées derrière des grilles imaginaires, observant le public (ci-contre).

Après Anfossi, l'Ospedaletto fait appel à Cimarosa (1781-1783 au moins), qui laisse notamment un Absalon, puis ponctuellement Schuster, Piticchio, Baini, Avanzini, ou encore Martín y Soler, auteur de Philistaei a Jonatha dispersi (1784). Désormais placé sous la houlette de Francesco Gardi, l'hospice est à bout de souffle ; Capiton et Bagolin sont parties en 1783, et seules Ortolani, Bianchi et Caldara chantent dans Rebecca de Gardi en 1787. Il poursuit avec de nouvelles solistes : Giustina Lorena, Ursula Sala, Caterina Terzi et Giovanna Fantinato, jusqu'en 1791 environ. Seuls les Mendicanti maintiennent alors un certain prestige, mais les sirènes des hospices se taisent presque définitivement après la chute de la République Sérénissime en 1797.
Aujourd'hui, l'Ospedaletto maintient une tradition d'accueil en hébergeant des personnes âgées.

Pour en savoir plus sur certaines vedettes des Derelitti, voir les fiches correspondant aux chanteuses suivantes :
Francesca Gabrieli ; Ippolita Santi ; Laura Comin

Fresque de Guarana à l'Ospedaletto
De profundis A. Porpora 1744
pour Pia (S), Comin (S), Forzadin (S), Ragazzoni (A), Moro (A)
Enregistrement au choix
Salve regina A. Porpora 1744
pour Angela Moro (A)
D. Galou, Le Parlement de musique dir. M. Gester – Vespro per la Festività dell'Assunta, CD Ambronay
Lauda Jerusalem A. Porpora 1744
pour Moro (A), Ruspanti (S), Adami (S), Pia (S)
Le Parlement de musique dir. M. Gester – Vespro per la Festività dell'Assunta, CD Ambronay
Nisi dominus A. Porpora 1744
pour Vittoria (Bellocchio ?) (A)
G. Laurens, chœur Éclats, Les Passions dir. E. Andrieu – Vêpres vénitiennes, CD Ligia digital
Laetatus sum A. Porpora 1744
pour Forzadin (S), Ruspanti (S)
Enregistrement au choix
In caelo stellae clarae fulgescant A. Porpora 1744
pour Graziosa Tagliapietra (S)
J. Lezhneva, Il Giardino armonico dir. G.Antonini – CD Decca 2013
Clari splendete o caeli A. Porpora 1744
pour Bernardina Forzadin (S)
M.G. Schiavo, Accademia bizantina dir. O. Dantone – Captation de concert à Milan
Domine probasti me A. Porpora 1745
P. Crema, M. Zalloni, Coro Femminile Harmònia, Ensemble Barocca I Musicali Affetti dir. M. Peguri – Alle Figlie di Coro, CD Brilliant Classics 2015
Nunc dimittis A. Porpora 1745
P. Crema, M. Zalloni, Coro Femminile Harmònia, Ensemble Barocca I Musicali Affetti dir. M. Peguri – Alle Figlie di Coro, CD Brilliant Classics 2015
Confitebor tibi domine A. Porpora 1745
pour Graziosa (Ruspante ou Tagliapietra) (S1), Pia (S2)
P. Crema, Coro Femminile Harmònia, Ensemble Barocca I Musicali Affetti dir. M. Peguri – Alle Figlie di Coro, CD Brilliant Classics 2015
Credidi propter A. Porpora 1745
pour Comin (S1), Pia (S2)
P. Crema, Coro Femminile Harmònia, Ensemble Barocca I Musicali Affetti dir. M. Peguri – Alle Figlie di Coro, CD Brilliant Classics 2015
Placida surge aurora Porpora ? 1748
pour Graziosa Tagliapietra (S)
Parfois attribué à Pampani. A. Bonitatibus, Accademia bizantina dir. O. Dantone – captation de concert, Milan, 2004
Machabaeorum mater A. Sacchini 1770
pour Ippolita Santi (Jonathas)
Air Vos enarratis stellae. Réduction pour piano : S. Armani, A. Orvieto – Contro il destin che freme, CD Dynamic 2016
Nuptiæ Ruth A. Sacchini 1772
pour Marina Frari (Noemi), Ippolita Santi (Salem)
Airs Ludunt amores ; Vade superba. Réduction pour piano : S. Armani, A. Orvieto – Contro il destin che freme, CD Dynamic 2016
Somnos tuos, somnos suaves P. Anfossi 1778
M.G. Schiavo, Accademia bizantina dir. O. Dantone – Captation de concert à Milan
Esther J. Schuster 1781
pour Lucia Bianchi (Esther)
Air Sponsae carae supplicanti. Réduction pour piano : S. Armani, A. Orvieto – Contro il destin che freme, CD Dynamic 2016
Absalom D. Cimarosa 1782
pour Lucia Bianchi (Joab), Teresa Ortolani (Thamar)
Airs Lacrimande Patris amor ; Moveo pedem. Réduction pour piano : S. Armani, A. Orvieto – Contro il destin che freme, CD Dynamic 2016
Judith D. Cimarosa 1782
Air Palpitanti brachio. Réduction pour piano : S. Armani, A. Orvieto – Contro il destin che freme, CD Dynamic 2016
Orchestra e coro Rai di Milano dir. S. Perugini – Captation de concert Rai 1971