C'est à Gelsdorf, près de Bonn, que voit le jour celui qui deviendra le plus célèbre ténor des ères baroque et classique.
Anton est tout d'abord destiné à une carrière religieuse et étudie chez les jésuites à Cologne, avant que sa voix ne le fasse repérer par le prince-électeur qui le confie en 1736 aux bons soins de Ferrandini, compositeur actif à la cour de Munich ; dès l'année suivante, Raaff participe à son Adriano in Siria.
En 1738, le moment est venu pour Raaff de passer à l'étape décisive : il intègre la très fameuse école de Bernacchi à Bologne. Il se produit en privé dans une serenata de Caroli avec son maître et la Turcotti, mais ses vrais débuts scéniques datent de la saison 1739-40, à Venise. Raaff y interprète notamment Farnace de Rinaldo Di Capua et Adriano in Siria de Giai (Osroa) au théâtre des Grimani, avec les castrats Amadori, Santarelli et la contralto Bagnolesi. La cour de Bonn le rappelle, adoubé qu'il est par le public italien, et le ténor s'y produit entre 1741 et 1749 avec queqlues prestations en d'autres lieux, comme Francfort.
Il n'a encore que vingt-cinq ans lorsqu'il se rend à Vienne où officie le librettiste le plus fêté de son temps, Métastase. Dans la cité impériale, celui que l'écrivain appelle « notre incomparable signor Raaff » interprète Jommelli, dont Merope et Didone abbandonata. Métastase trouve son jeu plutôt limité mais comment résister lorsque le ténor chante « comme un séraphin » ? Tous ces jugements sont adressés à Farinelli, qui, en charge des divertissements musicaux à la cour d'Espagne, garde le nom de Raaff en tête.
Dès 1750, Anton est au Teatro Regio de Turin pour les festivités célébrant les noces de Victor Amadé de Savoie et de l’infante Maria Antonia Ferdinanda, dans La Vittoria d'Imeneo de Galuppi avec Caffarelli et l'Astrua. Il se produit encore dans toute l'Italie en 1751-52, notamment à Livourne dans Catone in Utica de Latilla avec Pasquale Potenza et Caterina Pilaja, ou Padoue dans l'Artaserse de Galuppi avec la Mingotti et Gizziello.
Il retrouve ce dernier partenaire à Lisbonne, où ils se produisent entre 1752 et 1755, dans des œuvres de Perez et Mazzoni. L'inauguration du nouvel opéra du Taje avec Alessandro nell'Indie du premier, en présence de Caffarelli, Gallieni ou encore Reina, constitue l'un des événements majeurs de son séjour. Ce théâtre est immédiatement détruit par le terrible tremblement de terre de Lisbonne auquel Raaff et d'autres chanteurs semblent échapper miraculeusement : le ténor remercie le Seigneur de cette faveur en faisant élever une chapelle dans sa ville natale.
Du Portugal, Raaff et Gizziello se rendent à Madrid sur invitation de Farinelli, et chantent la Nitteti de Conforto. Raaff est régulièrement employé à l'opéra avec la Castellini, le castrat Elisi et Panzacchi en second ténor. En 1759, il quitte cependant la cour d'Espagne en même temps que Farinelli.
C'est principalement à Naples qu'on retrouve le glorieux ténor entre 1760 et 1768, après sa prestation dans le rôle titre d'Attilio Regolo de Jommelli. C'est au San Carlo qu'il interprète pour la première fois l'un des compositeurs auxquels son nom demeure attaché, Jean-Chrétien Bach, dans Catone in Utica et Alessandro nell'Indie. Il chante régulièrement avec Guarducci et Clementina Spagnoli, puis la Gabrielli et Mazzanti. Ces interprètes prêtent aussi leur voix aux cantates de circonstances, et autres œuvres de prestige, comme Le Nozze di Teti e Peleo de Paisiello pour le mariage de Ferdinand avec l’archiduchesse Marie-Caroline d’Autriche. Raaff sert particulièrement Piccinni, De Majo ou Sacchini.
En 1770, Raaff est appelé à Mannheim par l'électeur Carl Theodor ; il y chante avec les Wendling et Tonarelli, notamment Catone in Utica de Piccinni, et crée l'une des œuvres phares de l'histoire de l'opéra allemand avec le rôle titre de Günther von Schwarzburg de Holzbauer accompagné de Ludwig Fischer et de la stratosphérique Danzi-Lebrun. Il donne également une version italienne du Messiah de Haendel. Lorsque toute la cour est transférée en Bavière, Raaff s'établit à Munich, après avoir offert quelques concerts en France au Concert spirituel en 1778, où il interprète Non sò donde viene tiré d'Alessandro nell'Indie de J. C. Bach. Le Journal de Paris du 15 avril rapporte que « l'ivresse devint générale, et on fit recommencer le premier morceau. Il [Raaff] réunit les qualités qui semblent s'exclure, la noblesse, la loyauté et l'expression. »
Mozart admirait particulièrement le ténor dans cette scène (dont le texte est tiré de L'Olimpiade de Métastase) et lui compose sa propre version de l'air, ensuite révisée pour Aloysa Weber. Si Mozart n'entend Raaff que sur le déclin et commence par bien mal le juger à première écoute, son estime ne fait que grandir par la suite. Idomeneo, re di Creta de Mozart, créé en janvier 1781 à Munich, est apparemment le dernier opéra de la carrière de Raaff bien qu'il semble se produire jusqu'en 1787. Le ténor s'y illustre encore comme protagoniste et affirme les prérogatives d'un musicien d'une autre génération, ce qui ne va pas sans heurts avec le compositeur autrichien : il fait réécrire ses airs, se plaint de son texte et exige une aria à la place du quatuor.
Raaff termine sa vie paisiblement à Munich, vivant aisément sur l'immense fortune accumulée au cours d'une carrière digne d'un Farinelli, et auréolée de l'admiration générale suscitée par son talent musical et les qualités humaines d'un homme pieux et simple. Il enseigne à quelques chanteurs, dont l'immense basse Fischer et le ténor Franz Christian Hartig.
Le vaste répertoire de Raaff et les jugements qui restent à son égard sont plutôt concordants : piètre acteur, il possédait une virtuosité superlative et une voix longue (Perez lui compose des vocalises insistantes sur contre-ut et contre-ré !), tout en apportant un soin particulier au cantabile. Schubart écrit :
Il peut monter jusque dans le haut registre d'alto ; tout aussi facilement, il descend dans celui de basse. Toutes ses notes sont rondes et pures. Il a un don exceptionnel pour déchiffrer à vue et peut orner un air de diverses manières avec un art indescriptible. Personne ne peut égaler ses ornements et ses cadences, ou son goût musical.
En 1777, Mozart écrit quant à lui :
Ce que j'aime chez lui, c'est lorsqu'il chante de petits morceaux, comme certains andantino ou encore certains airs, car il a sa manière propre. [...] J'imagine ce qui était sa force, la bravura qu'on continue à sentir chez lui, autant que son âge lui permette ; une bonne poitrine et un long souffle, et puis cet andantino. Sa voix est belle et très agréable. [...] En revanche, pour ce qui est de la bravura, des passages et roulades, là, Raaff est le maître – et puis, sa bonne prononciation, très claire – , c'est beau.
C'est Michael Kelly qui donne un dernier témoignage de l'art de Raaff, à qui il rend visite en Bavière en 1787 avec les Storace :
[Raaff]
nous fit la faveur de nous chanter Non sò donde viene ; bien que sa voix fût embarrassée, il gardait encore sa merveilleuse voce di petto et ses notes soutenues, et son style très pur. |