Les Zamperini constituent une famille d'artistes dont il est parfois difficile de démêler les éléments et dont certaines sources confondent mère et fille.
Commençons par Maria Vittoria Zamperini, épouse d'un certain Giandomenico Zamperini, chanteur comme elle. Le couple a au moins deux filles :
Maria Antonia puis Anna Maria, qui deviennent également chanteuses. On compte aussi d'autres artistes portant le même patronyme : Cecilia et Elisabetta. Le prénom Maria partagé par la mère et les deux principales filles n'arrange rien, ni les sources d'époque se contentant d'évoquer signora Zamperini. Cette fiche met l'accent sur la carrière d'Anna Zamperini, fille de Giandomenico et sœur d'Antonia.
Après un premier rôle sérieux à Trieste en 1752, l'aînée Antonia Zamperini brille sans sa famille plusieurs années au San Samuele de Venise : elle crée notamment Il filosofo di Campagna de Galuppi en 1754, La diavolessa du même l'année suivante avec la contralto bouffe Penni puis La cascina de Scolari et La ritornata di Londra de Fischietti, sur des livrets de Goldoni. On l'entend aussi en Onoria de l'Ezio de G. Scarlatti en 1754 avec le castrat Potenza. Antonia gardera toute sa carrière une propension à jouer les parti serie, même à l'opéra bouffe.
En 1761, à seulement huit ans, Anna fait ses débuts sur scène à Murano, dans le petit rôle de Sandrina dans La buona figliuola d'un certain Perillo. Ce livret à succès l'accompagnera tout au long de sa carrière. À ses côtés, une bonne partie de la famille : Elisabetta Zamperini (Paoluccia), Giandomenico (marchese) et dans le rôle titre Antonia ; la production est reprise à Bassano en 1763. Entre-temps, Anna, Antonia et leur père présentent la suite La buona figliuola maritata de Scolari à Murano et Trieste.
En 1765-66, Anna donne plusieurs œuvres giocose de Guglielmi avec la jeune Bonafini, et Le nozze disturbate de Paisiello. Ces succès lui valent un engagement au King's Theatre, avec une partie de la famille.
Entre 1766-67 puis 1769-70, la famille Zamperini se produit donc à Londres, capitale nouvellement convertie à l'opera buffa italien sous l'impulsion de la directrice et soprano Colomba Mattei, grâce au passage des Paganini et de la famille De Amicis. C'est le premier sommet de sa carrière ; encore adolescente, Anna est promue prima buffa, et son père modestement secondo buffo. Sa mère et sa sœur n'ont pas de contrat... mais dépendent d'elle. Un certain George Williams ironise sur la « tribu de canailles mangeuses d'ail, dont toute l'existence dépend de sa beauté » ; et le comte Douglas, qui s'amourache de la jeune Anna, se plaint car « La Zamperini a un père, une mère et une sœur ; mais tous préfèrent leur propre régime à toute autre chose, si bien que nous dînons très rarement ensemble ».
Dans une soirée au bénéfice d'Anna, toute la famille chante L'innamorate del cicisbeo. Anna participe aussi à Il padre e il figlio rivali de Giordani, et récolte un triomphe durable dans ses incarnations de la Cecchina de Piccinni (tableau de N. Hone, ci-dessus), à l'occasion desquelles Burney la juge très belle mais affectée dans son chant. Une partie du public la trouve coquette, superficielle et dotée d'une voix courte et mal éduquée, d'autres louent au contraire sa vivacité, son naturel et son charme tant comme actrice que comme chanteuse. Ses frasques ne sont pas extérieures à certains jugements, un critique la qualifiant carrément de prostituée. Dans la troupe, on trouve aussi Polly Young, la basse Morigi et l'excellent ténor Lovattini, adoré du public. Les Zamperini quittent Londres et paraissent à Turin en 1768, mais retrouvent le King's Theatre dès 1769. Anna trouve alors pour rivale Lavinia Guadagni, soutenue par son frère le fameux castrat du même nom, primo uomo du théâtre. Le nouveau directeur George Hobart a néanmoins
succombé aux charmes de la jeune Zamperini, ce qui lui assure un soutien précieux et nombre d'avantages.
Le public toujours friant de rivalité s'en mêle et Walpole écrit en 1769 :
Faisant comme si la Guadagni et la Zamperini avaient une voix, le parti de chacune fait bisser le moindre air à tour de rôle, et les opéras s'étirent presque jusqu'à minuit.
Les Zamperini quittent Londres avant la fin de la saison, Anna y laissant une réputation peu reluisante.
Les deux sœurs interprètent divers opéras bouffes d'Astaritta, Bertoni ou Gazzaniga à Turin puis au San Moisè au début des années 1770, par exemple Il disertore de Guglielmi en 1771, avec le ténor Laschi. À Turin, la duchesse de Savoie admoneste Anna, jugée trop licencieuse.
Vient l'autre point d'orgue de leur carrière : Anna et Antonia sont immédiatement engagées à Venise pour la cour de Lisbonne, où elles font fureur au point de susciter des néologismes : zamparinar (applaudir ou courtiser Anna Zamperini) et enzamparazinar-se (tomber amoureux jusqu'au délire). L'engouement du public lisboète est considérable, dans le nouveau théâtre privé de la Rua dos Condes, et aussi parce qu'on n'y avait pas entendu d'opéra italien depuis un moment. Anna est prima donna, et Antonia tient des rôles secondaires : elles débutent en juin 1772, dans une troupe comprenant le ténor Trebbi et le castrat Folicaldi.
Le répertoire est pour partie constitué de reprises d'œuvres créées par les Zamperini à Venise. Les deux Zamperini présentent évidemment Le finte gemelle (les fausses jumelles) de Piccinni ; elle crée aussi La Betulia liberata de Pugnani. Anna est prima donna seria dans Antigono de F. De Majo en 1772. Les sœurs, appelées sirènes, vivent dans l'opulence, avec un traitement généreux ; elles s'attirent riches présents, poèmes, hommages, admirateurs ; Anna paraît sur scène couverte d'une myriade de bijoux précieux. Anna et Cecilia Zamperini participent aussi au Geloso de J.G. da Silva en 1775, dernier opéra où Anna chante au Portugal : le théâtre ne couvre pas ses frais, et le roi est furieux d'avoir découvert la liaison de son fils avec la prima donna. Cette même année, les Zamperini retrouvent l'Italie. Leur père semble être décédé à Lisbonne.
Une anecdote rapportée par Louis Dutens précise qu'au retour du Portugal, les terribles conditions en mer plongent Anna dans un état d'angoisse la faisant sombrer dans le mutisme, dont elle ne sort que progressivement, grâce notamment à la musique.
On retrouve en tout cas Anna et Antonia à Florence dans Le due contesse de Paisiello, en 1776. La même année, Anna donne le rôle titre de l'opéra séria Aristo e Temira avec le castrat Monnani et Antonia comme seconde chanteuse, à Venise, sur la musique de Bertoni. La même participe à l'Orfeo, tenu par le vieux Guadagni. Un voyageur écrit dans une longue lettre écrite à Venise en 1780 :
San-Mosè est l'opéra le plus suivi : Métastase en occupe la scène, comme il est d'usage et de goût dans tous les grands théâtres d'Italie. La Zamperini, l'une des meilleures cantatrices de l'Italie, la première actrice pour l'opéra, fameuse dans toute l'Europe par ses talents, en outre en Espagne par ses débauches & son expulsion, & en Angleterre par les plaisirs qu'elle y a procurés, & par l'argent qu'elle y a amassé ; la Zamperini attire plus de monde que la salle ne peut en contenir.
Choron comme Laborde rapportent que la cantatrice vénitienne s'est retirée « en se mariant avantageusement ». Anna a bien quitté la scène après 1778, mais continue de chanter en privé, comme en témoigne le Chevalier de Boufflers en 1783 :
J'ai voulu entendre la Zamperini, dont vous m'aviez fait tant d'éloges. Vous l'aviez vue à son aurore, & je la vois à son couchant; cependant elle remplit toute l'idée que vous m'en aviez donnée. Je lui ai trouvé beaucoup de goût, d'expression, & de grâces dans le chant. Sa voix est encore très-agréable. Vous croyiez qu'elle avait tout-à-fait abandonné le théâtre, mais c'étoit une erreur.
Artiste délicieuse, surtout dans le genre léger, et assurément sulfureuse, Anna avait sans doute peu de voix. Un critique anglais la qualifie de contralto grave et regrette son étendue limitée ! Dans la Betulia de Pugnani, la partie d'Antonia requiert une voix courte de mezzo, ne dépassant pas le sol4 et allant parfois au do grave, tandis qu'Anna tient une tessiture sensiblement plus élevée, mais toujours avare d'aigus, même si le la4 est requis dans les vocalises (et même un sib4). Les deux sont capables d'une relative agilité. Anna était sans doute un soprano grave ou un mezzo soprano, ce qui ressort aussi de la scène d'Avondano. On a pu dire aussi que c'était à cause d'elle que les femmes furent à nouveau bannies des scènes de Lisbonne. Mais c'est indéniablement une des figures importantes du chant des années 1760 et 1770. |