Anna naît à Constantinople, où ses parents sont employés de l'ambassadeur d'Autriche. Après diverses pérégrinations, la famille s'intalle à Vienne où la jeune fille apprend (enfin !) l'allemand et la musique, notamment auprès de Salieri.
Avec l'appui de la soprano Hofer, elle débute au Theater an der Wien de Schikaneder en 1803, d'abord en Junon dans Der Spiegel von Arkadien de Süssmayer, puis dans des rôles d'importance croissante. Anna y crée Die Neger de son maître Salieri en 1804. C'est là qu'elle crée Leonore de Beethoven, qui obtient d'abord peu de succès, ainsi que les révisions de 1806 et 1814 (Fidelio), avec ses fidèles partenaires Vogel, Weinmüller et Saal, piliers du chant à Vienne. Griesinger admire l'art de Milder dès 1803, après l'avoir entendue dans Cyrus de Seyfried :
Mademoiselle Mildner [sic] incarnait Cambyse ; vertu rare, sa voix sonne comme le plus pur métal, et, comme son professeur Neukomm est de l'école de Haydn, elle soutient de longues et puissantes notes sans les surcharger de fioritures et d'ornements.
Le succès vient lorsqu'elle passe au Theater am Kärntnertor en 1807. Un autre succès de cette période est Die Schweizer Familie de Weigl, dans un genre léger (1809). Anna se frotte aussi à de grands rôles dramatiques de Gluck, et aux nouveautés de Spontini (La Vestale). L'entendant en Iphigénie de Gluck, le vieux compositeur Reichardt s'émerveille :
Sa voix est la plus belle, la plus pleine et la plus pure des voix que j'aie entendue de ma vie en Italie, en Allemagne, en France ou en Angleterre. Sa figure et son action sont également nobles et grandioses.
La Comtesse de Mozart lui sied moins : voix d'airain centrale mais peu souple, talent tragique naturel et sans affectation, Milder brillait moins dans les rôles plus légers. Elle chante toutefois aussi Una cosa rara de Soler, et y enchante Napoléon en visite à Schönbrunn en 1810 : il fait un pont d'or à la chanteur pour l'engager à Paris, mais il essuie un refus. La même année, Milder épouse Hauptmann, union dont naissent rapidement des enfants ; le couple se sépare car la cantatrice, lesbienne ou bisexuelle, se lie à l'actrice Friederike Liman. Spontini, directeur du Théâtre-Italien de Paris, écrit une flatteuse missive pour l'attirer :
La renommée de vos talents est parvenue jusqu’à nous et votre réputation est au moins aussi grande à Paris qu’à Vienne. J’ai eu moi même l’honneur de vous entendre lors de mon passage en Autriche il y a deux ans et jamais voix humaine ne produisit une plus grande sensation que celle que j’éprouvai dans cet heureux moment. Depuis cette époque j’ai été nommé Directeur d’un des grands théâtres de notre capitale. Un des plus grands plaisirs que puisse me procurer cette place est celui de vous offrir, Madame, un engagement à mon théâtre en qualité de Prima Donna.
La diva effectue une tournée entre 1810 et 1815, visitant par exemple Mannheim, Francfort, Munich et Karlsruhe. Accompagnée de sa sœur, elle quitte définitivement Vienne et s'intalle à Berlin où elle décroche un contrat. C'est là qu'elle termine sa vie. Elle impressionne dans Gluck, s'essaie à Susanna de Mozart... De ses contemporains, elle interprète par exemple Conradin Kreutzer (Adele von Buduy). Pour célébrer ses 25 ans de carrière, la diva reçoit un luxueux vase portant le nom de ses plus célèbres incarnations, comme Emmeline, Leonore, les Armide, Clytemnestre et Alceste de Gluck, Astasia dans Axur de Salieri, Lodoiska et Faniska de Cherubini, Donna Elvira de Mozart... En concert en 1825, Anna mêle les styles et interprète un duo de Zingarelli (Giulietta e Romeo) et un autre Meyerbeer, une scène de Haydn, et la truite de Schubert. Anna suscite l'admiration de ce dernier, qui lui dédicace certaines pièces (Suleika II) et écrit pour elle Le pâtre sur le rocher, avec son solo de clarinette. Si elle n'avait pu retrouver Spontini à Paris, elle crée ses œuvres berlinoises : Nurmahal (1822), Alcidor (1825) et Agnes von Hohenstaufen (1829), et une version révisée d'Olympie où elle marche dans les pas de la Branchu en Statira (gravure ci-contre). En 1829, elle quitte l'opéra de Berlin avec une pension, pourtant encore jeune – résultat d'une inimitié avec le directeur Spontini ? Anna Milder chante en Europe du Nord et en Russie jusqu'en 1836, année d'un concert d'adieu à Vienne. Elle décède à Berlin deux ans plus tard, de maladie.
Voix pure, égale, belle et forte du la grave au contre-ut, et particulièrement dans le médium, Anna ne chante pas de grands passages virtuoses, ne peut pas triller... En revanche, elle est capable de quelques délicats ornements et volatines, et ses rôles ne sont pas dénués de difficultés vocales, outre leur étendue. C'est l'archétype, avec Schröder-Devrient, du soprano dramatique allemand à l'orée du romantisme. |