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Gertrud MARA

1749 – 1833

Aussi [Gertrud Elisabeth] [Schmeling]

Gertrud MaraFille d’un violiniste, elle souffre d’être exposée très jeune comme prodige de cet instrument sans recevoir de soins, et en garde toujours une santé vacillante. Étudiant finalement le chant, elle parfait son éducation en Angleterre où elle était arrivée comme jeune violoniste à partir de 1759, puis retourne en Allemagne à Francfort et Cassel avant de travailler avec Hiller à Leipzig en 1766. Le célèbre théoricien de la musique fait d'elle une virtuose infaillible, douée d'un chant aussi agile et instrumental que son jeu de violon. Elle y récolte ses premiers succès, ainsi que des vers admiratifs de Goethe après avoir donné Sant' Elena al calvario de Hasse, hommage débutant par le vers Klarer Stimme, froh an Sinn [La voix claire, l'esprit en joie].

En 1767, elle émerveille Maria Antonia de Saxe à Dresde dans le Talestri écrit par la princesse en personne ; celle-ci s'emploie à faire tomber les préventions de son frère Frédéric II de Prusse pour qu'il accepte d'écouter une cantatrice allemande, ce à quoi il déclarait préférer entendre le hennissement d'un cheval ! Mais alors qu'il la met à l'épreuve en lui faisant déchiffrer à vue le plus terrible air de bravoure de Graun (tiré de Britannico), le souverain sait qu'il a enfin trouvé là une nouvelle prima donna à la hauteur des Gasparini et Astrua, autrefois ornements de la scène prussienne. La cantatrice s’impose dans les ouvrages de Hasse (d'abord dans Piramo e Tisbe, puis Attilio Regolo, Arminio...) et Graun (Orfeo, Rodelinda...) inlassablement repris à l’opéra royal de Berlin, sous la férule implacable du roi, et épouse le violoncelliste Mara. Il lui fallut maints caprices et ruses pour d’une part, obtenir la permission de ce mariage, d’autre part pouvoir enfin quitter Berlin et briller dans d’autres villes allemandes et autrichiennes, après avoir multiplié les maladies fictives, s'être présentée ivre sur scène etc. Charles Burney rencontre l'étoile de l'opéra encore en service à Berlin, avec Concialini et le vieux Porporino :
Mlle Schmeling me reçut avec politesse et simplicité. Elle est petite et sans beauté, mais son visage n'a rien de désagréable ; bien au contraire, il respire une bonne humeur qui la rend d'un abord facile et engageant. Ses dents sont irrégulières et avancent à l'excès mais sa jeunesse et son sourire la rendent plutôt agréable à voir. Je m'aperçus qu'elle n'avait pas oublié son anglais ; certes les mots ne lui venaient pas toujours, mais ayant appris notre langue dans son jeune âge, il lui était resté une prononciation parfaitement correcte. Comme je l'en priais, elle consentit à chanter peu après mon arrivée chez elle. Elle commença par un redoutable air de bravoure de Traetta, que j'avais déjà entendu chez la Mingotti. Son exécution fut admirable et répondit pleinement à la haute opinion que j'avais conçu de ses capacités ; je trouvais seulement sa voix un peu voilée, et pas tout à fait aussi forte que je m'y attendais. Il est vrai qu'elle se plaignait d'une indisposition, souffrant d'une toux et d'un rhume léger ; malgré cela, la voix était douce et parfaitement juste. Elle avait un trille excellent, une bonne expression, et une facilité stupéfiante dans l'exécution et l'articulation de diminutions rapides et difficiles. Pour second air, elle chanta un Larghetto de Schwanenberg, compositeur résidant à Brunswick ; ce morceau était très joli en lui-même, mais elle le rendit véritablement délicieux par son goût et son expression ; sans prodiguer inutilement les fioritures, elle sut les approprier judicieusement au style de la musique et à l'idée du poète. Elle chanta ensuite un andante tiré du rôle qu'elle étudiait pour le carnaval, dans la Merope de Graun. Elle s'en acquitta avec un goût et une expression parfaitement accordés à ce morceau.

Mozart l’entend sans enthousiasme en 1780 à Munich, un an après le départ de Berlin alors que Mara passe par Leipzig, Dresde, Vienne et les Pays-Bas. Il relate surtout son comportement capricieux et la prétention de son mari pourtant médiocre en tout point.
Nous gardons de nombreux témoignages de son passage au fameux Concert spirituel de Paris, avec notamment une description précise parue dans Le Mercure de 1782 :
Mme Mara est en effet étonnante par l’étendue de sa voix qui a presque trois octaves et par sa souplesse et sa hauteur ; elle s’élève à l’octave de sol et s’élance avec justesse des sons les plus graves aux sons les plus aigus. Si sa virtuosité ne fait aucun doute, la qualité d’émotion de son cantabile laisse les auditeurs plus partagés. Paris se divise dans l'une des polémiques absurdes dont le monde musical a le secret, entre partisans de la Mara et défenseurs de la Todi, immense tragédienne lyrique. Le brillant de l'une opposé au sens tragique de l'autre alimente de vains débats, que les cantatrices et les promoteurs de spectacles savent exploiter, notamment quand les deux sopranos chantent un duo d'Anfossi. Un madrigal résume l'impression du public :
Todi, par sa voix touchante
De doux pleurs mouille mes yeux ;
Mara, plus vive, plus brillante
M'étonne, me transporte aux cieux.
L'une & l'autre ravit, enchante ;
Et celle qui plait le mieux,
Est toujours celle qui chante.


Gertrud MaraEn 1784, Mara se rend à Londres et se produit aux Pantheon Concerts, avec rien moins que le castrat Pacchierotti, puis sur scène au King’s Theatre. L'accueil du public est délirant, les Anglais adorent les voix aiguës et agiles : dans La Vestale de Rauzzini (1787), Mara s'aventure très peu en dessous du médium et vocalise allègrement jusqu'au contre-fa. Elle participe aussi au festival Haendel de Westminster, interprétant la Cleopatra de Giulio Cesare. Son style dans Haendel, compositeur quasi officiel et fort respecté, est généralement loué – que dirait-on aujourd’hui ? Rejoignant la troupe italienne, elle ne néglige pas pour autant les ballads operas de Storace, renforçant sa popularité : elle reprend même The Beggar’s Opera, alors meilleur moyen de se faire aimer du public de Londres toujours féru de cette pièce. Elle y soutient la comparaison avec l’immensément populaire Billington ou Mlle Crouch, de même que dans le rôle de Mandane d’Artaxerxes (Arne). Ses activités centrées à Londres ne l’empêchent pas de se produire sur le continent entre 1788 et 1790 : citons Turin en 1789, dont Teolinda d'Andreozzi, ou encore Venise en 1790 (Andromaca de Nasolini avec le castrat Pietro Gerardi). Elle reprend les succès du continent, y compris certains opéras qu'elle vient de créer, à Londres en 1790 et 1791. Mara créer encore deux opéras à Venise en 1792 (Circe de Paër, voir extrait ci-dessous) puis participe à trois dernières créations au King's Theatre en 1793 (Odenato e Zenobia avec Kelly et Bruni) avant d'y céder définitivement la place à la Banti.

Quittant l'Angleterre en 1801, Mara se présente en Italie désormais débarassée de son encombrant époux, puis en France, Allemagne, Russie, Autriche... Ruinée par l'incendie de Moscou où elle est installée en 1812, elle se réfugie en Estonie. Elle s'y éteint tristement en 1833, non sans une malheureuse tentative de retour au King’s Theatre en 1820, alors qu’elle est réduite à donner des leçons de musique pour subsister. Goethe avait tout de même eu le temps d’honorer son art une fois de plus, dans le poème Sangreich war dein Ehrenweg [De tes chants retentit le chemin de la gloire].


Extrait d'une vocalise pour Mara dans La Circe de Paër
Il Tribunale di Giove Fortuna K. von Dittersdorf 1775 Berlin
  L. Kaňková, dir. Hanzlík – captation de représentations, Olomouc 2019
Hope told a flatt'ring tale Mandane G. Paisiello ? Londres
[air d'insertion, arrangement de Mazzinghi] In Artaxerxes, Arne. D. Riedel, Arcadia Lane Orchestra dir. R. Bonynge – Cherry Ripe, CD Melba 2008