Cette immense cantatrice est l’une des plus connues de son siècle, et sans doute la plus fêtée de son époque. On peut aisément trouver des descriptifs très détaillés de sa carrière, et surtout les nombreuses anecdotes qui émaillèrent sa vie, dues à son esprit libre et son caractère fantasque, qui choqua ses contemporains. Elle fut exclue de plusieurs villes italiennes pour « mauvaise conduite » !
Caterina Gabrielli naît à Rome. Son père est cuisinier du prince Gabrielli, d'où son surnom de « petite cuisinière ». On lit que c'est ce prince qui lui fait donner ses premières leçons tout comme son nom de scène. Cependant, dans la mesure où son frère Antonio et sa sœur Francesca portent le même nom de famille, on peut supposer que Gabrielli était son nom de naissance. Francesca chante d'ailleurs souvent avec Caterina comme seconda donna – chanteuse médiocre qu'elle imposait à ses côtés.
On suppose que la Gabrielli débute vers 1747 à Lucques ou, selon d'autres sources, dans la Didone de Jommelli à Naples trois ans plus tard. Ce qui est certain, c'est qu'en 1754, elle chante un second rôle de l’Antigona de Galuppi à Venise, derrière la Segantini. Son caractère est déjà bien trempé : on interdit à la noblesse vénitienne de la fréquenter.
Prenant conseil auprès de Porpora, un des plus prestigieux maîtres de chant de l’histoire, elle poursuit sa carrière à Vienne, où elle crée des œuvres de Gluck (L’Innocenza giustificata, La Danza, Il Re pastore, Tetide) ainsi que Hasse, Wagenseil et d’autres en 1755-1757 puis 1760-1761. Métastase, dès 1755, la décrit comme l’astro novello del cielo musicale. Le fameux librettiste la prend sous son aile et la recommande auprès de son ami Farinelli pour Madrid, tout en le mettant en garde contre le caractère difficile d'une cantatrice déjà trop consciente de sa valeur ! Pourtant, la Gabrielli ne se rendra jamais en Espagne, où elle est conviée.
En dehors de ses prestations à Vienne, elle parcourt une bonne partie de l’Italie du Nord dès 1757 : Milan, Parme, Gênes, Turin, puis encore Padoue, Lucques, Reggio… La soprano y interprète les meilleures compositions de l’époque, signées notamment Galuppi (Demetrio, La Clemenza di Tito, Ipermestra...). Dès 1759 commence la collaboration avec un de ses compositeurs de prédilection : Traetta (Ippolita ed Aricia à Parme avec le ténor Amorevoli). Elle crée de nombreux opéras de ce dernier, et c'est encore avec une œuvre de lui qu'elle débute au San Carlo de Naples, en Armida, en 1763, avec le castrat Perellino.
Cette conquête du Sud du pays est un succès, car la Gabrielli devient la prima donna attitrée de la ville pendant plusieurs saisons, généralement flanquée du légendaire ténor Anton Raaff, avec lequel elle interpréte Sacchini, Cafaro, Bach ou encore Mazzoni.
Sa gloire rejaillit sur un nouveau talent : Joseph Mysliveček. Elle entretient une relation privée avec le musicien tchèque, qui lui compose un célèbre air avec cor dans Il Bellerofonte (1767) : succès retentissant. Son comportement libre, impétueux et capricieux la fait chasser de plusieurs villes, où elle multiplie les intrigues amoureuses, notamment avec le castrat Giacomo Veroli ; Gabrielli quitte donc Naples et reprend ses voyages entre Turin et la Sicile.
Une des anecdotes les plus célèbres concernant la soprano se déroule justement à Palerme, en 1771. Le vice-roi se rend au théâtre un soir où, mal lunée, la Gabrielli chante à mi-voix. On lui intime l'ordre de donner la pleine force de ses moyens, mais elle refuse, au point qu'on la jette en prison. Elle y séjourne une douzaine de jours, pendant lesquels elle se montre généreuse avec les détenus à qui elle chante tout son répertoire ! La cantatrice est acclamée lorsque le vice-roi la libère, penaud.
La diva fait un passage remarqué à St-Pétersbourg à partir de 1772, où elle défie l'impératrice Catherine II par ses prétentions financières et son effronterie. Elle enchante pourtant dans les rôles que Traetta lui écrit là-bas dans Antigona, Lucio Vero, Amore e Psiche… Pour la saison 1775-76, elle est à Londres. Le public anglais l'accueille triomphalement, et Burney estime avoir alors rencontré la plus intelligente et la plus cultivée des virtuoses. Certes, l'Agujari a de plus amples moyens, la Sestini a de la fraîcheur, et Cecilia Davies peut se montrer presque aussi agile, mais l'expressivité, la précision et le fini de ses agilités sont sans rivales, d'autant qu'elle peut encore compter sur une belle prestance en scène, et un « très joli visage ». À Londres, Gabrielli s'illustre aussi avec le castrat et compositeur Rauzzini, dont elle chante Didone abbandonata (Didon et un de ses rôles fétiches) et L'Ali d'amore.
De retour sur le continent, Caterina passe par Lucques, Milan (avec le grand Marchesi, dans Armida de Mysliveček), puis Venise. Mozart l’entend en fin de carrière, en 1778, et la juge diminuée : il trouve qu'elle « chante avec art mais sans intelligence ». Elle finit ses jours à Rome, dans l’opulence, après son retrait des scènes en 1782 dans l'Arbace de Borghi (Venise) avec le contralto Rubinelli et le ténor Babbini.
Sa voix était d’une virtuosité stupéfiante et son arrogance à la hauteur de ses talents. Les parties écrites pour elle exigent un aigu facile et la capacité à engloutir de longues vocalises étincelantes. Lalande, dans son Voyage en Italie, détaille les qualités exceptionnelles de la diva :
La Gabrielli avait depuis si b jusqu'en ut de pleine voix, & jusqu'au fa en fausset ; cette étendue est très-rare, sa voix l'était également par la plénitude, l'égalité, la souplesse & la légèreté ; cette voix était faite pour être au-dessus des rossignols, elle a gâté les chanteuses d'Italie, qui toutes ont voulu l'imiter.
Outre ses dons et sa technique, Gabrielli savait saisir le public par son expression et son jeu, d'autant qu'elle n'était pas laide. Elle est représentée ci-dessous dans la célèbre gravure d'Antonio Fedi où figurent les étoiles du chant du siècle entier, entourée des ténors Maffoli, Mombelli et Babbi.
La Gabrielli joue un rôle important dans le film Il Boemo (2023), qui retrace la vie de Mysliveček, sous les traits de Barbara Ronchi. La création du Bellerofonte et de l'air à succès Palesar vorrei col pianto y occupe une place notable.
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