La voix hors du commun et les péripéties de la Ferrarese ainsi que ses rapports avec Da Ponte et Mozart font que cette cantatrice est assez bien connue de nos jours.
C'est à Ferrare qu'elle voit logiquement le jour, mais, étant orpheline ou née de parent incapables de s'en occuper, Adriana est recueillie dans un ospedale de Venise : les Mendicanti. Elle y reçoit sans doute la formation de Bertoni. Celui-ci réussit à développer des moyens impressionnants qui se distinguent par une tessiture très étendue. Admise comme soliste et professeure en 1779, elle participe avec les autres chanteuses de l'ospedale aux oratorios latins et sans doute plusieurs motets. À partir de De morte Sisarae d'Avanzini en 1780, elle est de tous les oratorios dramatiques de l'institution (Baltassar de Bertoni en 1781, par exemple, avec Almerigo et Lucovich). Ayant rencontré Luigi Del Bene, elle s'enfuit pour l'épouser en 1783, mais se rend compte qu'elle a été abusée... N'étant plus vierge, elle ne peut réintégrer les Mendicanti, et se lance sur scène.
La soprano est à Londres en 1785, et chante un pasticcio de Cherubini intitulé Demetrio, au King's Theatre. L'Orfeo de Gluck lui convient peu, mais Epponina dans Giulio Sabino de Sarti lui réussit mieux. Après encore quelques concerts, la Ferrarese regagne le continent. Elle se produit à Milan dans Il Conte di Saldagna de Sarti, reprend Epponina à Trieste, et bénéficie d'un engagement à Vienne où l'on a dû avoir l'écho de son talent. La cour compte alors les meilleurs interprètes bouffes d'Europe, et n'aurait pas fait appel à la chanteuse si elle n'avait bénéficié de solides recommandations.
Vienne est l'occasion de la rencontre entre la Ferrarese et Da Ponte. Un peu piteux, le librettiste relate la relation qui les lie dans ses mémoires :
Pour mon malheur, une cantatrice de Ferrare fut engagée au théâtre de Vienne. Sans être douée d'un grand prestige de beauté, elle me fascina d'abord par le charme de sa voix puis par ses agaceries incessantes et finit par me faire oublier mon serment [de ne pas fréquenter de chanteuses] ; elle avait un talent hors ligne ; son organe était enchanteur, sa méthode nouvelle, sa figure agréable et ses yeux irrésistibles [...]
La nouvelle diva débute dans une reprise de l'Arbore di Diana de Soler, reprenant le rôle de la déesse créé par la Morichelli ; Tarchi lui compose une rondo sur mesure mettant en valeur l'étendue de sa voix, flattant d'abord son art déclamatoire avant une efflorescence de triolets. Le succès est au rendez-vous et le soutien de Da Ponte encourage l'impétueuse Ferrarese dans ses mauvais penchants, si bien que les inimitiés sont nombreuses : Mozart n'apprécie que modérément la cantatrice et Salieri, protecteur de la Cavalieri, n'est pas ravi d'une telle hégémonie. Du reste, Da Ponte confesse :
Elle avait un caractère violent et emporté, plus fait pour irriter que pour concilier les esprits. Tout le personnel du théâtre était contre elle, et j'en ressentis le contrecoup.
En 1789, la soprano chante les ouvrages de Da Ponte et Salieri Il Pastor fido et La Cifra. Elle s'illustre encore dans le pasticcio L'Ape musicale dans lequel elle s'autoparodie en prima donna désireuse de mettre en valeur ses airs sérieux. Lors de la reprise des Nozze di Figaro, Mozart lui écrit deux nouvelles pages pour Susanna, mais ne semble guère convaincu par le naturel de la cantatrice :
La petite ariette que j'ai faite pour la Ferrarese [Un moto di gioia] devra avoir du succès, je crois, si d'ailleurs celle-ci est capable de la rendre naïvement, ce dont je doute fort...
Plus, le compositeur entend une autre diva à Dresde, L'Allegranti, et la juge meilleure que la Ferrarese « ce qui au vrai n'est pas beaucoup dire ! » Da Ponte pèse sans doute lourdement pour imposer Ferrarese dans Così fan tutte en 1790, avec le coupe Bussani et Louise Villeneuve. Fiordiligi semble néanmoins aller comme un gant à la Ferrarese, et inspire à Mozart l'un de ses plus beaux rôles. Mais Dorotea Bussani, qui chante Despina, semble s'attirer la faveur du public, ce qui n'est pas sans inspirer des propos venimeux à Da Ponte. La Ferrarese se maintient au premier plan et chante notamment La Pastorella nobile de Guglielmi et La Molinara de Paisiello – mais elle ajoute aux mélodies simples du rôle de Rachelina l'air Ah brillar la nuova aurora tiré d'Idalide de Cimarosa, de style serio. Le vent a tourné, toutefois, et Joseph II est mort : le nouvel empereur fait payer au couple Da Ponte-Ferrarese sa main-mise sur le théâtre et les chasse de Vienne.
Alors que Da Ponte tente de retrouver la faveur de l'empereur, la cantatrice poursuit son chemin et s'illustre à Varsovie en 1792. On la retrouve à Venise à partir de 1797 : elle y chante Il Ritorno di Serse de Portogallo, reprend Fiordiligi à Trieste... Da Ponte la retrouve dans la Sérénissime, mais le charme s'est envolé, si l'on en croit le récit peu galant qu'il en fait dans ses mémoires. En 1799, elle partage la scène avec le ténor Brizzi pour deux cantates de circonstances de Trento, à Bologne, et s'éteint peu de temps plus tard à Venise.
Lors de ses débuts à Vienne, le Rapport von Wien s'étonnait de ses aigus stupéfiants et de son grave incroyable : une tessiture inouïe. En fait, son étendue était environ la2 – ut5, mais sa tessiture habituelle allait du si2 au si4. Les pages écrites pour elle, même dans l'opera buffa, se caractérisent par leur écriture proche du genre sérieux, avec instrument obligé, intervalles vertigineux, successions de sections complexes (le rondo était sa spécialité et elle a contribué au développement du genre à Vienne) et déferlement de vocalises finales : on voit ici combien c'est la cantatrice qui s'autoparodie dans Come scoglio de Fiordiligi en recourant à un emphatique langage serio, à l'instar de donna Zuccherina dans L'Ape musicale, qui permettait aux chanteurs d'étaler leur répertoire.
La musicographie a largement repris la supposition d'un musicologue qui assimilait Adriana à la Francesca Gabrieli admirée par Burney, également surnommée Ferrarese – à l'instar de tant d'autres. Rien ne permet en réalité d'affirmer qu'il s'agissait des mêmes sopranos, d'autant que la Francesca en question brillait en 1770 (date du concert donné pour Burney) et dans un autre ospedale, les Derelitti. |