Fille d'un boucher de Bologne, la soprano Anna Maria Torri garde le souvenir de son extraction avec le surnom Beccarina (petite bouchère), comme plus tard la Parruchierina (la petite coiffeuse, pour Anna Peruzzi) et la Coghetta (la petite cuisinière, pour la Gabrielli).
On a déjà la trace de ses prestations en 1684 à Reggio Emilia dans La Calma fra le tempeste d'Alessandro Melani, avec la contralto Riccioni, le ténor Buzzoleni et le castrat Ballarini. Anna Maria Torri chante à Venise en 1687 dans La Gerusalemme liberata de Corradi. La virtuose, employée par le duc de Gonzague à Mantoue, partage ses prestations entre Plaisance, Gênes et Parme juqu'au début des années 1690 : en 1688 elle se trouve à Gênes pour Muzio Scevola de Cavalli et à Plaisance pour des drames de Sabadini avec les castrats Speroni, Ballarini et Pistocchi. En 1690, elle interprète notamment Pallavicino à Gênes avec la soprano Lisi. Reconnue parmi les meilleurs chanteurs d'Italie du Nord, elle participe aux fastueux spectacles donnés à Parme cette même année pour les noces du prince Odoardo, à l'occasion desquelles on a réuni une distribution splendide comptant Pistocchi et Francesco Grossi, notamment dans L'Età dell'oro de Tosi. Elle se produit à Venise la même année, notamment dans Pirro e Demetrio du même Tosi, avec Chiaravalle et Pistocchi : Grimani loue son chant.
En 1691, le livret de L'Inganno scoperto per vendetta de Perti donné à Gênes précise qu'elle est au service de la cour de Parme, où elle vient juste d'entrer ; elle y chante avec Riccioni, Cortona et le ténor Borosini. La Torri se fait entendre à Modène avec Siface et Cortona (un opéra de Giannettini, distribution ci-contre), puis à Turin en 1695. Elle quitte la cour de Parme à ce moment-là. À Venise, Anna Maria Torri participe à la saison 1699-1700 du San Giovanni Grisostomo, donnant notamment Pollarolo. Quatre ans plus tard, elle y participe aussi à un concert somptueux donné dans une grotte éclairée par des torches construite sur le Grand Canal, chantant la Vertu dans Dalla Virtude ha la Bellezza onore de Pollarolo, accompagnée de la Diamantina et du castrat F. De Grandis.
La Beccarina se retrouve à Florence pour fuir la guerre : elle y paraît de 1701 à 1708 dans maintes pages de Perti (L'Ariovisto), Aldrovandini, Scarlatti, Albinoni (Griselda) et Pollarolo, côtoyant la basse Ristorini, le ténor Franceschini, le castrat Albertini... C'est là qu'elle crée Rodrigo de Haendel en 1707, qui donne une haute idée de ses capacités techniques. Elle se rend aussi à Venise la même année, comme le précise une lettre du librettiste Zeno qui attend une commission de sa part. La Statira de Gasparini, présentée à Florence en1708 avec Aurelia Marcello, semble être sa dernière prestation recensée.
La soprano, qui incarne plusieurs fois la Vertu sur scène et dont certains témoignages évoquent la modestie, est également parfois vue comme un bourreau des cœurs ; un sonnet de l'abbé Frugoni publié bien plus tard dans le siècle évoque quelques grands chanteurs, comme Farinelli, Carestini et Paita, et précise :
E la bella Beccarina
È di cuori assassina
Quando i dolci labbri aperti
Volge al conte Garimberti;
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