Giovanna Astrua est originaire de Gaglia, dans une province du Piémont qui voit ensuite naître Caterina et Francesca Gabrielli. Giovanna étudie le chant à Milan auprès de Brivio, et débute à Turin dans L'Olimpiade du même, à dix-sept ans. L'année suivante, la jeune Astrua continue de chanter des seconds rôles dans les œuvres de Brivio, Giacomelli, Arena, côtoyant une Cuzzoni alors en fin de carrière ainsi que le castrat Gizziello. Elle se distingue particulièrement dans le rôle d'Arpalice du Ciro riconosciuto de Leo, et commence à parcourir les scènes italiennes, d'abord modestes : après Venise (avec Prudenza Sani), en 1740, Giovanna est à Alessandria et Casale Monferrato (avec le soprano Agostino Fontana), et l'année suivante à Gênes avec les castrats Saletti et Amadori.
Ces prestations suffisent à la distinguer : de 1741 à 1747, elle est prima donna au San Carlo de Naples, et prend part à 3 à 4 créations par an ! Là, elle chante avec Caffarelli les compositions de Sarro, Hasse (Ipermestra, 1746 avec le ténor Fabri), Duni, Vinci, Gluck, De Majo, Leo (L'Andromaca, 1742, avec Gherardi), Manna... Son primo uomo n'est guère commode, et une célèbre anecdote conduit un temps Caffarelli en prison, sous le prétexte qu'il perturbe ses collègues en scène d'une manière indélicate ; en réalité, le castrat aurait subrepticement modifié la partie chantée par l'Astrua, l'enrichissant de syncopes et contretemps, si bien que la chanteuse ne pouvait plus chanter en rythme... Caffarelli aurait aggravé les choses en battant la mesure dans ses mains, ajoutant à la confusion générale.
L'Astrua part pour Berlin où elle remplace Giovanna Gasparini, reléguée en seconda donna. Elle reste l'étoile locale de 1747 à 1756, et donne pleine satisfaction au roi de Prusse, comme en témoigne cette lettre à la margrave de Bayreuth, en 1747 (en français dans le texte) :
Cette chanteuse est réellement surprenante; elle fait des arpeggios comme les violons, elle chante tout ce que la flûte joue avec une agilité et une vitesse infinie. Jamais la nature, depuis qu'elle se mêle de fabriquer des gosiers, n'en a fait de pareil. Cette femme, avec tous ses talents et sa belle voix, a encore le mérite d'être très-raisonnable, bonne et sage ; il est bien rare de trouver tant de perfections ensemble.
Frédéric le Grand semble apprécier les voix aiguës et le chant instrumental, ce en quoi Astrua répond parfaitement à ses attentes. Dramatiquement, elle se montre apparemment plus limitée, comme il l'écrit à Algarotti en 1749 à l'occasion de son Coriolano :
mais comme le récitatif n'est pas son fort, il faut mettre ce qu'il y a de plus touchant dans la bouche de l'Astrua, ce qui pourra fournir un récitatif avec accompagnement.
Les commentaires élogieux ne manquent pas, de Quantz, Mancini ou Graun : tous louent sa phénoménale agilité vocale, apte à vaincre toutes les difficultés, mais aussi sa manière de rendre l'adagio, le parant de nombreux ornements d'un goût exquis. Comme le résume Voltaire : « Mademoiselle Astrua est la plus belle voix de l'Europe. »
Son salaire correspond à ses qualités, et lorsqu'en 1750, elle passe brièvement en Italie pour les noces de Vittorio Amadeo III de Turin avec l'infante d'Espagne, elle est infiniment appréciée et richement récompensée. Les célébrations sont marquées par La Vittoria d'Imeneo de Galuppi et une pièce de Giai avec Caffarelli et les ténors Raaff et Basteris.
De retour à Berlin, Astrua continue de chanter les opéras de Graun (Mitridate, Silla...) et d'Agricola, Kapellmeister à partir de 1754 (Cleofide). On donne aussi des œuvres de Hasse, dont Didone en 1753. La troupe comporte d'autres talents : le fidèle castrat Bedeschi, les sopranos Molteni et Gasparini, le ténor Romani, les castrats Salimbeni puis Carestini dans les premiers rôles masculins... L'Orfeo de 1752, justement avec le vieux Carestini, reste dans les annales musicales de l'opéra berlinois comme une soirée exceptionnelle, même si le succès du contralto n'était pas évident auprès d'un roi féru de sopranos. Néanmoins, Astrua, malade, commence à perdre sa voix et se retire à Turin après la Merope de 1756 (ci-dessus), dotée d'une pension à vie. Elle est néanmoins rapidement emportée par une tuberculose, à 37 ans.
Giovanna correspondait parfaitement à l'esthétique très virtuose de l'époque, particulièrement prisée par Frédéric II – lui même pratiquait la flûte, et devait aimer retrouver les figures de l'instrument dans le chant. Graun et Agricola composèrent pour elle des rôles volontiers acrobatiques, suffisamment attractifs pour qu'une autre virtuose du XXe siècle, Joan Sutherland, s'intéresse à l'une de ses partitions. Son art a beaucoup marqué les esprits berlinois, et lorsque Gertrud Mara paraît devant Frédéric, celui-ci lui soumet Mi paventi il figlio, très difficile page de Britannico de Graun qui avait valu un succès mémorable à l'Astrua. C'est son interprétation à vue de cet air terrifiant qui lui vaut son engagement, et marque la continuité dans une cour berlinoise conservatrice. L'air a depuis été récupéré par de nombreuses virtuoses de renom, y compris Pauline Viardot au XIXe siècle, et plus récemment Hallenberg et Lezhneva. |