Ses origines illégitimes à Ferrare lui valent l’encombrant surnom de « bastardella » (petite bâtarde).
Elle se produit, déjà prima donna seria, dès 1765 à Padoue, Vérone, puis Lucques (p. ex. dans le pasticcio Demofoonte) puis l'année suivante à Mantoue, et enfin Parme pour deux productions en 1767. Pour le prestigieux mariage du roi Ferdinand IV à Naples en 1768, elle chante dans Le Nozze di Peleo e Tetide de Paisiello, triomphant d’airs effroyablement difficiles. Pour l'occasion, elle est accompagnée de Raaff et des castrats Monanni, Toschi et Fabbris, mais se taille la part du lion face à eux : la Bastardella est déjà célèbre pour l'étendue fabuleuse de sa voix, notamment vers un aigu stratosphérique (exemple ci-dessous).
Elle rencontre le compositeur Giuseppe Colla, artiste mineur originaire de Parme avec qui elle entretient une relation amoureuse, et qui sera dorénavant son compositeur attitré ; le couple est d'ailleurs officiellement engagé à la cour de Parme en 1768. L'année suivante, la Bastardella y participe aux Feste d’Apollo de Gluck, où le castrat Millico interprète l’Orfeo, couplé avec Bauci e Filemone et Aristeo : cet ample spectacle est donné à l'occasion d'un double mariage princier.
Très active dans les années 1770, elle se produit à Venise dans Vologeso de son amant avec le castrat Potenza et le ténor d'Ettore, puis Gênes, Mantoue, Milan (Tolomeo du même Colla en 1774 avec Tenducci) et à Turin en 1772, 1773 et 1775. La Bastardella y donne des opéras de Pugnani, Colla (Andromaca) ou encore Alessandri avec les ténor Prati et Ciprandi, les castrats Roncaglia, Luini, Aprile, etc.
Elle vient stupéfier le public parisien au concert spirituel en 1774, et se produit pour des fortunes au Pantheon Concerts de Londres à partir de l'année suivante, pour deux airs par soir payés cent livres. Toute la famille Burney, chez lesquels elle vient prendre le thé et chanter des airs (notamment de la Didone abbandonata de Colla), se pâme devant les dons de la soprano, ainsi que le public londonien. Non seulement sa puissance, son étendue et la qualité de son timbre sont exceptionnels, mais sa virtuosité extrême n'exclut pas l'expression et l'émotion, au point que le fils de Charles Burney la compare au castrat Millico, connu pour ses pudiques interprétations de Gluck. Parallèlement, le King's Theatre a déjà signé avec Rauzzini et la Schindlerin, et ne peut s'offrir Lucrezia Agujari, qui fait pâlir cette scène.
Lucrezia est à Pavie en 1776, puis Florence. En 1779-80, la soprano-prodige est à Venise, retrouvant Roncaglia et Prati pour Demetrio de Bianchi. Le dernier livret où elle paraît date de 1782 à Gênes, dans le Giunio Bruto de Cimarosa avec le castrat Folicaldi et le ténor David. En effet, la tuberculose l'emporte à seulement quarante ans.
De nos jours, l'Agujari est connue en raison de la forte impression qu’elle fit sur Mozart, qui l’entendit en concert le 24 mars 1770, à Parme, et nota l’étendue extraordinaire de sa voix, du sol2 au do6 (soit une octave au-dessus du contre-ut) : il note « C’est la fameuse Bastardella qui possède premièrement une belle voix, deuxièmement un gosier galant, troisièmement une élévation de voix incroyable » et de retranscrire une cadence de plus de vingt mesures qu’elle chanta en sa présence, avec trilles en échelle du contre-ut au contre-fa, et vocalises enchaînées du do3 au do6.
Léopold trouva ces passages « aussi beaux qu’un son d’orgue. »
Néanmoins, la Française Sarah Goudar notait sévèrement :
l’Agujari est le rossignol de la scène, mais n’est qu’un rossignol. Son chant exprime peu dans sa brillante exécution. Elle frappe d’abord par des accents étrangers à la nature, qui ramènent trop souvent des sons aigus. On l’appelle la Bastardina [sic], nom qui lui convient, car il n’y a rien de légitime dans sa musique ; tous ses airs sont bâtards !
Burney, pour autant, confirme les phénoménales qualités vocales de la chanteuse, mais tempère ses capacités d'émotion, trouvant son style un peu trop énergique. Sans nul doute dotée d'une des voix les plus phénoménales de l'histoire lyrique, fin musicienne qui plus est, Lucrezia n'était sans doute pas pour autant une tragédienne d'envergure, mais plutôt une excellente vocaliste. Elle évoque d'autres sopranos suraigus au chant instrumental, comme Franziska Danzi-Lebrun ou Maria Balducci.
Une des innombrables vocalises grimpant vers le suraigu écrites pour la Bastardella
(extraite dans Le Nozze di Peleo e Tetide, jusqu'au contre-sol – clé d' ut1)
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