Cette cantatrice fait partie des orphelines abandonnées dans la niche ménagée à cet effet à l'entrée de l'ospedale de la Pietà à Venise. Les activités musicales des quatre ospedali vénitiens battent leur plein après les succès du siècle précédent, et la fascination pour les filles formées dans ces institutions s'étend au-delà des lagunes.
L'engouement pour Apollonia est particulièrement fort, et certains commentateurs n'hésitent pas à en faire l'une des plus grandes chanteuses italiennes de la première moitié du XVIIIe siècle. On sait que Vivaldi assure la formation musicale et fournit des compositions à l'effectif de la Pietà alors qu'Apollonia est encore toute jeune. Il est certain qu'il lui réserve des motets et des parties solistes non identifiés ou non conservés, et l'on sait par exemple qu'Apollonia, qui incarne un rôle secondaire dans le Moyses deus pharaonis de 1714 (perdu), brille en Holopherne dans Juditha triumphans en 1716, accompagnée de la vétérane Barbara en Vagaus et d'une certaine Caterina dans le rôle titre. Apollonia n'est toutefois confirmée comme « fille du chœur » qu'en 1720.
En 1726, elle incarne Apollon (évidemment) dans Il ritratto dell'eroe du maestro Porta. Quantz l'entend et la décrit comme une une « solide chanteuse ». Son nom figure explicitement dans la partition du Laetatus sum de 1736 signé du même compositeur, comme soprano 2 avec la célèbre Ambrosina en guise de ténor, ou encore les sopranos Maria Bolognese, Agata, l'alto Marina, etc. Porta écrit pour les mêmes l'oratorio Innocentiae triumphans seu Genovefà. Toujours en 1736, Apollonia est nommée figlia privilegiata, mais elle est rétrogradée au rang de figlia di comun deux ans plus tard après avoir donné un coup de poing à une employée ! Son caractère rebelle est bien connu. Néanmoins, la punition dure à peine plus d'un mois, son talent étant essentiel à l'effectif de l'institution. Vivaldi remanie son Magnificat pour la Pietà en 1739 et compose Et exultavit pour Apollonia, qui devient maestra di coro la même année. Du reste, elle chante probablement dans Il Mopso l'année précédente, rare exemple de prestation non sacrée par les filles de l'ospedale, motivée par un invité de marque. En 1740, Goldoni et un certain Gennaro d'Alessandro signent un Coro delle muse où Apollonia (la même ?) est créditée comme violoncelliste. Elle est encore soliste dans les années 1740 dans les compositions de Bernasconi. Nommée « sous-prieure » en 1746, presque au sommet de la hiérachie interne, elle décède en novembre 1751.
Dans ses Lettres historiques et galantes de 1790, Madame du Noyer rapporte « L'Apollonia passait de mon temps pour la première chanteuse, & une autre pour le premier violon d'Italie ». Cette autre, c'est Anna Maria, fantastique virtuose souvent vue comme le pendant instrumental d'Apollonia, gage du succès de l'ospedale et des talents hors ligne qu'il produit. Un poème anonyme sur le filles de la Pietà en 1730 confirme l'admiration vouée par les mélomanes à Polonia :
Celle qui s'attire le plus d'éloges est à raison la très douce Apollonia. À l'écouter dans le genre pathétique, on fond dans le miel ; dans le vivace, quelle feu ! L'âme et le cœur sont éblouis. Elle dispose d'une voix de soprano claire, et en joue de telle sorte qu'elle se saisit de votre cœur, dans le lyrisme comme la vocalise. Elle a un peu plus de trente ans ; son visage est un peu vilain : l'esprit et les traits séduisent, mais le teint est olivâtre, les joues sèches et émaciées.
Souvent désignée comme soprano en effet, elle chante plutôt des parties médianes plus proches du mezzo-soprano voire du contralto (Holopherne). Les parties conservées vont du sib2 au fa4. Elle a pour élève une autre soprano, Agata.
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