Né à Filottrano dans les Marches (parfois à Loreto, selon les sources), Sassaroli est un étonnant soprano qui porte le dernier le flambeau de l'art des castrats dans l'une des villes les plus importantes de l'ère baroque et stupéfie ses auditeurs à une époque où les artistes de ce type se raréfient.
Il commence probablement par se produire à la basilique San Nicola di Tolentino, comme ses collègues Domenico Bedini et Domenico Caporalini.
On le retrouve régulièrement à Venise dans les années 1790, entre autres dans Teolinda de Gardi, ou Gl'Indiani de Nasolini avec la Billington. Il chante également dans la Cleopatra du même musicien à Modène, avec la Ferrarese. En 1799, Sassaroli est dans au SS Crocifisso de Longiano, avec les castrats Spagnoli, Caporalini et Bravura.
C'est en 1802 qu'il intègre la chapelle catholique de Dresde, où il se produit fidèlement toute la suite de sa carrière, auprès du ténor Benelli et du contralto Francesco Ceccarelli. Benelli et Sassaroli brillent dans La Betulia liberata de Naumann en 1805 (il incarne Judith), et la même année dans Sargino de Paër avec l'épouse du compositeur, splendide prima donna. Il chante encore dans Artemisia en 1807, mais se limite ensuite aux pages sacrées.
En 1814, il crée ainsi un Miserere de Morlacchi. Son frère Giovanni Sassaroli, basse, est également engagé. Filippo revient toutefois encore à l'opéra en 1817 et marque les esprits dans le Tancredi de Rossini, étrange inversement de situation où le castrat reprend le rôle écrit pour une grande contralto, tessiture dont la vogue était due justement à la fin de la castration et la raréfaction des musici. L'Allgemeine musikalische Zeitung exprime néanmoins de nombreuses réserves : Sassaroli reste gauche en scène, sa voix est mieux adaptée à l'acoustique de l'église qu'à la scène, le rôle est trop grave pour lui et le chanteur détone régulièrement, etc. C'est certainement la dernière fois que Filippo paraît au théâtre.
Carl Maria von Weber, comme Rossini ou Stendhal, est particulièrement marqué par les derniers témoignages des castrats de talents, conscient d'assister littéralement à un chant du cygne, celui d'une école, d'un style et d'une technique dont la trace est à jamais perdue. Pour Sassaroli, le Kapellmeister Weber compose l'offertoire
Gloria et honore coronasti eum destiné à la Missa sancta I en mi bémol majeur, où il exploite les possibilités virtuoses fascinantes du soprano. Le compositeur laisse à son fils un émouvant portrait de Sassaroli :
Dans son genre, l'artiste Sassaroli était inoubliable. Son portamento, sa façon de rendre la cantilène n'ont jamais pu être égalés, de même que sa gestion du souffle. Il était capable de soutenir une note à pleine voix durant 25 à 30 secondes. Dans une messe de Naumann, il devait soutenir le fa au-dessus de la portée pendant huit mesures, et trillait la note au bout de la quatrième, ce qui produisait un effet terrassant. Son timbre possédait l'éclat et la vibration d'une cloche de verre et remplissait l'espace de l'église catholique de voix célestes. Le pauvre aimait passionnément les enfants, qu'il câlinait dès qu'il en avait l'occasion, les yeux plein de larmes. Son noble cœur n'avait de haine que pour un seul être, son cruel père. Il ne lui en accordait pas moins un généreux soutien. Grand et gros, Sassaroli se tenait sur deux jambes épaisses. Son visage glabre était généralement pâle et avachi, mais animé d'un aimable feu.
Le castrat est même personnellement en charge du théâtre italien alors que Weber s'occupe du théâtre de cour. Outre Weber et les Paër, Sassaroli fréquente les parents de Wagner, dont la sœur Klara est sa collègue cantatrice. Wagner ne cache pas son aversion pour le castrat dans son autobiographie. On entend Sassaroli en concert à Leipzig en concert en 1819, mais le commentaire de l'Allgemeine musikalische Zeitung regrette une voix qui peine à tenir les notes et tend à détoner, ou à camoufler ce défaut sous un excès de fioritures. Le journal vante pourtant plus loin les fabuleuses messe di voce du castrat, qui chante à l'occasion avec goût une page de Weber. En 1822, Sassaroli se produit toujours à Dresde, et participe à un concert dont la première partie est composée de symphonies de Beethoven ; le castrat y chante une cavatine de Carafa avec chœur. Deux ans plus tard, il paraît encore à Berlin, l'année où Velluti crée à Venise le dernier grand rôle d'opéra pour castrat. Ce n'est qu'en 1828, à 53 ans, que Sassaroli prend congé de ses fonctions à Dresde. Une page de l'histoire musicale se ferme alors, dans la ville comme en Europe.
En 1852, dans son Journal of Music, John Sullivan Dwight se remémore l'art de Sassaroli qu'il voit dans Gli Orazi e I Curiazi de Cimarosa, une prestation dont la relation destinée aux lecteurs de Boston évoque déjà la bizarrerie de foire :
J'ai connu plus d'un musico, et parmi eux le célèbre Sassaroli à Dresde, qui possédait alors ce qui était peut-être la plus belle voix de fausset d'Europe. À l'église, j'avoue que sa voix faisait un effet extraordinaire puisque le vaste espace en triplait la puissance tout en noyant sa substance ; mais sur scène elle sonnait de façon quasi insupportable [...] rudis indigestaque moles, [il] arpentait les planches à grandes enjambées, gesticulant comme une marionette géante tout en roucoulant telle une flûte cachée dans le ventre d'une contrebasse [...] |