Né près de Pistoia, Giovanni Francesco Grossi commence sa carrière à Rome, au théâtre Tordinona.
Son surnom de Siface lui vient de son interprétation très remarquée du rôle dans Scipione africano de Cavalli en 1671, avec la soprano Coresi, année où il entre au service du prince Borghese où il rejoint le magnifique Verdone (basse). Il chante essentiellement à Rome tout au long des années 1670, notamment dans nombre d'oratorios, par exemple de Pasquini mais aussi Melani, Foggia, Lorenzani... Siface chante quelques années à la chapelle pontificale, de 1675 à 1677, mais participe à des offices religieux dans les grandes églises romaines de 1672 à 1680 au moins. Un de ses fameux rôles est le San Giovanni Battista de Stradella, où il interprétait probablement Saint Jean. Verdone, les frères Fede et le castrat Donati font alors partie de ses partenaires réguliers à Rome.
Attaché à la cour de Modène au service de Francesco II d'Este à partir de 1679 et jusqu'à sa mort, le castrat y est sans conteste le chanteur préféré du duc, avec la basse Cottini. Actif dans les oratorios – un genre particulièrement cultivé à Modène – et à l'opéra, il ne s'efface que devant son collègue Cortona dans les années 1690. Le duc a parfois du mal à retenir son chanteur : ses immenses succès lui font vite parcourir l'Italie et l'Europe. Grossi paraît au théâtre à Florence et Venise (Il Ratto delle Sabine d'Agostini en 1680 avec Donati), avec un succès tel qu'on l'engage à Naples en 1683. C'est alors qu'il crée un incident diplomatique : l'ambassadeur de France le réclame pour une serenata, mais le chanteur fait savoir qu'il désire être payé en espèces sonnantes et trébuchantes, et non en sorbets, comme c'est l'habitude chez le notable... Siface est contraint de se réfugier à Modène où son protecteur le consigne dans ses appartements. Heureusement, l'orage passe et le voici en Mitridate du Pompeo du tout jeune Alessandro Scarlatti pour ses débuts dans la cité parthénopéenne en 1684, avec Giulia Zuffi. Il revient encore à Naples pour interpréter Stellidaura de Provenzale.
Prêté par le duc de Modène à Londres, il se produit devant la dauphin à Paris, avant de multiplier les caprices dans la capitale anglaise. Malgré tout, son succès y est phénoménal. Dans son Journal, J. Evelyn avoue avoir été séduit par la technique du castrat (notamment sa messa di voce), « considéré comme le meilleur d'Europe », tout en déplorant ses manières et sa suffisance : « Il m'a fait l'effet d'un enfant impudique, et effeminé, à la fois timide et très content de lui, comme je le craignais. » Purcell lui rend hommage, à son départ, dans la pièce de clavecin Sefauchi’s Farewell – le castrat ne s'éternise pas, se plaignant d'un climat peu propice à sa voix.
Son succès lui monte à la tête, et ses cachets sont impressionnants, alors qu'il continue de parcourir l'Italie et de tenter de se soustraire à ses obligations à Modène. Siface chante L'Eta dell'Oro de G. Tosi à Florence en 1690 avec la Torri et Pistocchi, qu'il retrouve la même année à Parme pour la célébration de noces princières. Malgré ses incartades, Grossi se produit tout de même régulièrement à Modène et Reggio Emilia : on l'entend au Teatro Fontanelli en 1686, 1688, 1689 et 1690. Il participe à de nouvelles noces princières en 1692 dans L'Ingresso alla gioventù di Claudio Nerone, signé Giannettini. Il chante alors aux côtés de collègues locaux comme la basse Cottini et le castrat De Grandis, et la diva Torri (ci-contre). En 1696, le voici protagoniste d'Almansorre in Alimena de Pollarolo avec la Riccioni, F. De Grandis ou encore la Pini.
Il fait partie des trois castrats les plus admirés et brillants à la fin du XVIIe, avec Sassano et Cortona, mais meurt malheureusement (et prosaïquement) assassiné par les frères de sa maîtresse en 1697, une comtesse qu'on avait pourtant cloîtrée au couvent et qu'il trouva moyen de rejoindre. Il se rendait alors à Bologne pour créer le pasticcio Perseo à l'occasion de la réouverture du théâtre Malvezzi. Le castrat Ferrini l'y remplaça.
Tosi, évoquant la bonne manière de chanter, rappelle le style du castrat Rivani et de Pistocchi, capables d'intégrer les ornements dans l'air sans forcer la musique à s'interrompre, et place dans cette lignée « la voix melliflue » de Siface. Voici ce qu'Elena Bernardi révèle de l'étude du répertoire de Siface :
Siface était, sans l'ombre d'un doute, un vrai contralto et non pas un soprano, malgré l'affirmation de certains. Les arias qu'il interprétait étaient généralement strophiques, composites, souvent brèves, ou bien rythmées par des refrains instrumentaux.
C'est donc par la beauté de sa voix et son expression unique que Siface séduisit tous les publics, plus que par les déferlements de virtuosité. Le sonnet suivant, d'une plume anonyme, célèbre le chanteur tout en enjolivant sa triste fin :
Mentre sul Po l'unica voce e chiara
sciogliea Siface, e la virtù di lei
udiasi in quelle sponde, uomini e Dei
vaghi correan per ascoltarla a gara.
Giove allor ne giurò vendetta amara
dicendo: « Chi è costui che i regni miei
vuota e costringe? Or te, se pur non sei,
te spoglierò della virtù più rara.
E se l'alto saper d'ogni mortale
maggior ti rende, il tuo sepulcro sia
l'urna del Po, ch'è a Numi ancor fatale!
Oggi la crudeltà sia legge mia,
ché, per gloria del cielo, in me prevale
all'usata equità la gelosia »
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