Première castrat vedette, plus prestigieux encore que Loreto Vittori, le soprano Baldassare Ferri se caractérise déjà par ce qui fait le succès des castrats et explique la fascination qu'ils exercent : sa virtuosité ahurissante.
Natif de Pérouse,
il entame une carrière d'opéra à 12 ans à Orvieto auprès du cardinal Crescenzi et provoque d'emblée un engouement incroyable. Son art de l’improvisation charme tous les auditeurs, avec un chant infléchi vers plus d’agilité, et la mode du da capo orné, qu’il contribua à lancer. Le jeune castrat se distingue par l'étendue de sa voix pure, et trille sur l'échelle chromatique, sur deux octaves, en un seul souffle !
En 1625, le roi de Pologne Ladislas II est subjugué quand il l'entend à Rome, et l'attache à son service onze années plus tard. Entre-temps, Ferri brille à Rome, Bologne et Florence : ses admirateurs pavent les routes de fleurs en son honneur !
Le castrat séjourne à la cour polonaise durant trente ans. On ne peut déterminer exactement si Ferri y participe, mais il est très probable qu'il soit une des étoiles des différentes pages musicales offertes au cours de ces décennies, en particulier pour des événements célébrant la famille royale. On donne ainsi Gli amori di Aci e Galatea d'Orlandi en 1628, et des opéras de Scacchi comme Dafne (1635), Il Ratto d'Elena (1636), Narciso trasformato (1638) puis Armida abbandonata (1641).
La reine Christine de Suède, férue de musique, brûle d'entendre ce virtuose tant vanté : en 1654, la guerre entre la Suède et la Pologne est interrompue le temps que le chanteur puisse transiter et se faire entendre de la souveraine, qui lui envoie, dit-on, le vaisseau royal. Il est possible que Ferri revienne régulièrement se faire entendre dans son pays natal, et on a parfois écrit que Néron avait créé L'Incoronazione di Poppea de Monteverdi en 1643 : c'est plutôt Stefano Costa, mais Ferri est fait chevalier de Saint-Marc, honneur insigne qui vient probablement sanctionner des prestations à Venise. Il vient assurément à Florence chanter Monteverdi autour de 1650.
Ferri passe ensuite vingt ans à Vienne, à compter de 1655, dans une atmosphère propice à l'épanouissement des Arts, grâce au soutien d'empereurs amoureux de musique. Les livrets n'indiquent pas les distributions, et il est difficile d'affirmer qu'il participe aux représentations d'opéras et sépulcres, ou se limite au concert privé pour les souverains. Leopold Ier possède même un portrait du castrat dans sa propre chambre, où l'on peut lire : Baldassare Ferri, Re dei Musici. Dans cette même ville, Ferri crée une institution de bienfaisance grâce à l’immense fortune qu’il avait accumulée, et se retire à Pérouse en 1675 (ou 1680 selon les sources). Il avait apparemment aussi effectué un séjour à Londres en 1668-69 et participé à The Faithfull Sheperdess, et sans doute Psyche. Ses capacités inouïes stupéfient les Londoniens encore peu habitués à entendre des castrats, mais il n'est pas certain qu'il s'agisse bien de Ferri.
Bontempi est la principale source d'informations sur ce chanteur. Selon lui, « aucune hyperbole, aucune licence poétique excessive ne peut rendre justice à un tel mérite. Celui qui, en chantant, est allé au-delà des frontières de l'humanité, est encore au-dessus de n'importe quelle amplification poétique. » Ferri est le premier castrat vedette de l'histoire du chant, ce qui lui vaut certainement d'apparaître dans une fameuse gravure de Fedi où figurent les meilleurs chanteurs d'opéra jusqu'au début du XIXe siècle, aux côtés de Caffarelli – absolument pas son contemporain. On peut supposer que ressemble n'est guère fidèle.
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