1705 – 1782

dit Farinelli

Farinelli est sans doute le castrat, voire plus généralement le chanteur d’opéra, le plus fêté de l’histoire. Né Carlo Broschi et bénéficiant du soutien des frères Farina – qu’il remercie en choisissant son surnom – il étudie avec le célèbre Porpora au conservatoire de San Onofrio de Naples, épicentre européen de la formation musicale. À 15 ans, il débute dans la cité en petit berger dans la serenata Angelica e Medoro de Porpora. Le livret est signé d’un jeune librettiste, Pietro Trapassi, appelé à devenir la grande référence de la poésie dramatique de ce siècle sous le nom de Metastasio, et un grand ami de Farinelli.
À Rome, où le castrat apparaît dès 1721 dans Flavio Anicio Olibrio de son mentor, il acquiert rapidement une fantastique renommée, pour la beauté de sa voix, son étendue de plus de deux octaves, sa puissance, sa virtuosité stupéfiante, son expressivité… Farinelli participe à de nombreuses créations dans la cité romaine en 1722-23 et 1727-28. Une anecdote où le jeune castrat surclasse un trompettiste virtuose en puissance, souffle et agilité témoigne du phénomène. Il revient régulièrement enchanter Naples, surtout en 1724-25 : une de ses célèbres prestations de l'époque, symbole de l'équivoque prisé par le public, est le rôle de Cléopâtre dans la serenata Cleopatra e Marc'Antonio de Hasse, avec la contralto Tesi en Marc-Antoine. Durant cette décennie, outre Gasparini (Tigrena avec Farfallino), Pollarolo ou Porta, Farinelli se fait le porte-étendard de l'école napolitaine de Sarro, Porpora, Vinci et Leo (Il Cid avec le baryténor Pinacci), y compris en Italie du Nord dont il prend l'assaut en 1726. On le réclame ainsi à Parme, Bologne ou Florence : pour faire sensation, le castrat y fait étalage du chant de bravoure qui fait alors sa rencommée.

Farinelli fait son entrée dans les mythiques théâtres de Venise où il fait là encore fureur entre 1728 et 1730, notamment dans les œuvres des compositeurs napolitains comme Giacomelli (Merope) ou Leo (Catone in Utica), parfaitement adaptées à son style de chant, et qui contribuent à éclipser l’école vénitienne dont Vivaldi, Porta et Albinoni (et bientôt Galuppi) maintiennent seuls le flambeau. Le prêtre roux n'est pas sourd au succès du chanteur, et replace les tubes du briIlant soprano dans ses opéras et pasticci. Sa carrière se poursuit au début des années 1730 principalement dans le centre-nord de l'Italie, entre Lucques, Turin, Bologne et Venise. Il continue de défendre les partitions de son frère Riccardo Broschi, qui veille à lui écrire ou arranger des airs à grand effet. Parmi ses rôles fétiches figure Arbace d'Artaserse (Hasse), phénomène repris partout depuis la création de 1730.

Ainsi, après avoir brillé en Italie sur la plupart des grandes scènes au cours des années 1720 ainsi qu'à Munich (Nicomede et Edipo de Torri en 1728 et 1729), puis Vienne où l'empereur Charles VI l'enjoint à moins de pirouettes vocales et plus de simplicité, Farinelli part pour Londres en 1734 afin de soutenir son maître Porpora dans la brillante compagnie rivale de celle de Haendel, The Opera of the Nobility. Il reprend pour l'occasion son cher Artaserse, au sein d'une distribution grandiose qui comprend Senesino, Montagnana et la Cuzzoni, et chante divers opéras et pasticci sur des musiques de Porpora (Le Feste d'Imeneo), Veracini (Adriano in Siria), Pescetti etc. Le public l’adore, un spectateur s'époumone « One god, one Farinelli! » mais le chanteur vénéré repart en 1737, la situation de l’opéra italien à Londres devenant compromise. Avant de quitter la capitale, Farinelli offre en concert une cantate de remerciement, intitulée Regal Britannia. Le Demofoonte de Duni est de fait le dernier opéra où il paraît sur scène, concluant une carrière scénique de 17 ans seulement.

Farinelli accepte alors l’invitation de l’entourage de Philippe V à se produire en privé afin, selon une légende peu fondée, de guérir le roi de sa névrose – un concert quotidien semble néanmoins attesté. Farinelli se rend donc à Madrid, où il reste jusqu’en 1759, ne se produisant plus au théâtre mais toujours pour le roi et sa cour comme dans L'Isola disabitata, ou La Pesca de Conforto en 1756, flanqué de Gizziello ; il occupe alors une place prégnante dans le monde musical et même politique. C'est lui qui fait venir les meilleurs vocalistes d'Italie pour créer les opéras de Mele, Conforto ou encore Jommelli au Buen retiro. On suppose que bon nombre ds difficiles cantates de Domenico Scarlatti ont été prévues pour Farinelli. Il se consacre également à l'enseignement, avec la brillante soprano Teresa Castellini. Le somptueux recueil d'airs de son répertoire envoyé à Vienne en 1753 donne une image de son répertoire de salon. La virtuosité y prend des dimensions extrêmes, notamment Son qual nave, air fétiche écrit par Giaj dans Mitridate en 1729, adapté supposément par Riccardo Broschi (version la plus souvent chantée de 1734) puis encore enrichi par Farinelli lui-même.
Farinelli achève sa carrière espagnole chargé d’honneurs et de richesses, mais doit finir sa vie en Italie, la succession du roi ne se faisant pas à son avantage. Il termine donc son parcours à Bologne dans une somptueuse villa, admiré de tous, véritable légende vivante à laquelle les personnalités musicales se doivent de rendre visite, à l'image de Burney.

Extrait d'une vocalise de l'Artaserse de Hasse (Parto, qual pastorello)

Les partitions écrites pour Farinelli témoignent d'une étendue du fa#2 au ré5 (note exceptionnelle dans Antigona d'Orlandini en 1727) dans la première décennie de sa carrière. Certaines pages comme Qual guerriero in campo armato sont d'une virtuosité paroxystique. Ses airs jouent d'écarts croissants jusqu'à la douzième, de la répétition de motifs à diverses hauteurs, du registre grave, de trilles enchaînées, de notes battues et d'une vocalisation torrentielle. Toutefois, sa tessiture est plutôt celle d'un mezzo-soprano, tendance qui s'accroît au fil des années 1730 : la tessiture baisse sensiblement et les notes dépassant le sol4 se font rares puis disparaissent. Les airs se font aussi plus variés, moins axés sur la bravoure.
Outre des moyens conséquents, c'est toute l'esthétique et la technique d'acier d'une école de chant qui est représentée dans ce répertoire : voix cultivée pour l'artifice et le ravissement, délicatesse des inflexions et infinies fioritures au service de l'expression.