Domenico Bruni, né près de Pérouse, développe une voix de soprano. Il commence, sous la férule de son maître Paciotti, à chanter dans la région de Pesaro : le professeur paie lui-même pour la castration d'un élève aussi prometteur, à quinze ans, ce qui est fort tard ! On sait qu'il paraît dès 1772-73 à Turin. Ensuite, Bruni part pour Rome, à l'instar de nombreux jeunes castrats.
Dans la cité papale, où les femmes sont interdites de scène, Bruni incarne naturellement les demoiselles dans l'opera buffa alors en vogue : en 1776, il est Lisetta dans La Vera Costanza d'Anfossi avec la basse Blasi.
Il effectue un premier séjour à Saint-Pétersbourg en 1778, et se produit au théâtre impérial.
Durant 1782 à 1783, il s'illustre à Naples comme premier chanteur avec Maria Balducci, et chante Sterkel, Cimarosa, Insanguine ou encore le désormais célèbre Medonte de Sarti. Il rejoint Milan en 1784-85, avec le ténor Prati. On le retrouve ensuite à Rome, cette fois-ci comme primo uomo serio voire prima donna (Alessandro nell'Indie de Caruso), dans divers opéras de Giordani, et à Vicence pour La Didone de Gazzaniga, chantée par Anna Pozzi. De ses prestations romaines de 1787, le Mercure de France écrit « Le premier soprano Bruni a beaucoup de voix, le son charmant, mais l'art d'en tirer parti lui manque absolument. »
Entre 1787 et 1790, Bruni retrouve la cour russe en qualité de primo uomo, avec la même signora Pozzi. Il participe notamment aux productions locales de Cimarosa, comme La Vergine del sole ou Atene edificata.
Le castrat est alors l'un des meilleurs d'Europe, avec Marchesi et Crescentini. Il provoque le délire du public de Modène dans Pirro de Paisiello avec son partenaire Ansani. Il porte également le titre de virtuoso di camera di S. A. S. di Modena.
On l'invite donc à Londres comme étoile du Pantheon Theatre avec Mlle Mara, dans les ouvrages sérieux, alors que Morelli et Storace assurent les parties bouffes. Il est payé 1,5 fois plus que l'éminent Pacchierotti deux saisons auparavant ! En 1793, il reprend ainsi la partie écrite pour ce castrat dans I Giuochi di Agrigento, présenté peu avant à Venise par Paisiello ; on l'entend aussi avec Kelly et Rovedino dans le pasticcio Teolinda, assemblé par le directeur Federici. Les critiques sont enthousiastes et le comparent avantageusement à ses précédesseurs, Pacchierotti et Rubinelli. On admire la douceur et la richesse d'une voix également claire et fort puissante, et son collègue Michael Kelly lui concède « a fine voice and fine person » ; seul, comme souvent, Lord Mount Edgcumbe se montre peu satisfait.
En 1794-95, Bruni retrouve le San Carlo de Naples pour de nombreuses productions qui mettent en valeur la soprano Billington. Il interprète notamment Ines de Castro de Bianchi, et des pièces signées Paër, Guglielmi etc. La saison suivante le voit à Venise. Sa carrière prend sans doute fin peu après.
Retiré dans sa ville natale de Fratta, le soprano réussit à vaincre les résistances et à s'imposer parmi les patriciens locaux, jusqu'à devenir gonfaloniere, l'équivalent du maire. |