Ce soprano originaire de Pise ne se distingue pas par son talent, qui n'a rien de remarquable, mais par sa trajectoire hors du commun et le fait qu'il a laissé ses mémoires, document unique en son genre.
Il débute au service de Cosimo III de Médicis à Florence, mais ce dernier l'offre tout bonnement à Pierre le Grand à Moscou en 1691. Pendant dix ans, Balatri chante à la cour de Russie et s'intéresse à la vie culturelle locale avant d'être encore expédié en cadeau au Khan des Kalmouks, entre autres merveilles occidentales : là on sait apprécier son art et ses mélismes sophistiqués.
En 1701, Balatri part pour Vienne où il parfait son art du chant auprès du merveilleux contralto Orsini, glane un succès remarquable puis parcourt l'Europe de l'Ouest de façon plus traditionnelle : il chante en Italie, de retour à Florence, dans Aminta d'Albinoni en 1703, avec la Cecchi-Torri – ses débuts scéniques ? Employé comme interprète russe et professeur, il obtient la permission de se rendre à Londres via la France, où il chante pour le roi en 1714. Passant par Lyon, où l'on est guère habitué aux castrats, son chant orné et sa mise déclenchent la risée du public rompu à un chant ample et puissamment déclamé, pas aux vocalises. Balatri y a l'occasion de saisir le fossé stylistique entre les chants français et italien, dépeignant les hurlements « qu’on aurait pu entendre de Lyon jusqu’à Londres. » Arrivé quelques mois plus tard dans la capitale britannique, il interpète Arminio et Ernelinda de Gasparini, avant de repartir face au peu de succès remporté : l'impresario Heidegger le juge mauvais.
Le castrat trouve un engagement fixe à la cour de Munich. Il y paraît au moins dès 1717 dans Astianatte du maestro Torri avec d'autres chanteurs officiels comme le soprano Bartoli et le ténor Cignoni.
Balatri est chanteur officiel de la cour de Bavière et interprète à ce titre presque tous les ans jusqu'en 1725 les opéras du maître de chapelle Torri (Merope, Eumene, Tito Manlio, etc.) ou d'autres compositeurs, par exemple Damira e Pitia de Porpora, flanqué du castrat Scalzi (1724). Un épisode touchant de ses mémoires rapporte sa frayeur de devoir paraître avec Faustina Bordoni, qui vient se produire à Munich au cours de ces années-là (dont Griselda de Torri en 1723) : Balatri se demande comment séduire par son humble ramage face une virtuose aussi accomplie.
Filippo est à Vienne en 1725 pour Semiramide in Ascalona de Caldara, confronté là encore à la sublime Bordoni. On l'entend aussi à Rome en 1726-27 avec Andrea Tassi, Barbieri et Minelli dans Gismondo, re di Polonia de Vinci. Ce dernier lui compose une musique plutôt inspirée et de genre moderne, ce qui tend à prouver que le castrat est encore capable et malléable. La retraite est néanmoins proche ; il reparaît toutefois exceptionnellement sur les planches munichoises en 1737 dans La Costanza in trionfo de Peli avec le ténor Perprich et Santa Tasca.
Balatri se retire au service du couvent de Fürtenfeldbruck en 1739, et y termine ses jours Son portrait au clavecin peint par le Hollandais Horemans en 1733 se trouve à Munich (détail en noir et blanc ci-contre).
Outre le tsar, Balatri rencontre Louis XIV, l'empereur d'Autriche, Haendel, et maints autres personnages historiques. Son récit est plein d'esprit teinté d'amertume, d'autant qu'il ne peut se targuer d'avoir acquis une gloire immense dans son art. Ses pérégrinations dans des cultures peu encore habituées aux castrats lui valent parfois des difficultés et beaucoup de moqueries, comme en Russie ou en France. |