Francesco Benucci est l'une des plus remarquables basses italiennes de son temps, essentiellement dans le registre comique alors en pleine vogue : originaire de Pistoia où il étudie et débute, Benucci arrive au bon moment, alors que l'opera buffa s'est développé et se teinte d'une sentimentalité et d'une liberté fruits du dialogue avec l'opera seria et l'opéra comique français. Le genre sérieux offre peu de débouchés pour une voix d'homme grave, mais les rôles comiques sont volontiers dévolus aux tessitures naturelles. Succédant ainsi à Carattoli ou Baglioni, et avec ses collègues Bussani et Mandini, Benucci s'illustre comme l'un des meilleurs titulaires de ce type d'emploi.
Les premières traces de ses prestations datent de 1768 à Livourne, notamment dans Il Filosofo di campagna de Galuppi. Après une tournée en Espagne, il chante en 1770 à Florence puis tous les théâtres italiens. Il est par exemple à Venise, Gênes et Bologne en 1778, reprenant dans cette dernière ville La Frascatana de Paisiello, une œuvre qu'il interprète un peu partout ensuite. Les années suivantes le voient essentiellement briller à Florence, Milan, Turin dans les opéras d'Anfossi, Sarti, Cimarosa (L'Italiana in Londra), Paisiello, Astaritta (Il Francese bizzarro) etc. En 1781, Benucci est à Rome et crée le baron Cricca dans Il Pittor parigino de Cimarosa. C'est l'occasion d'un premier séjour à Vienne, étrangement court, pour une raison inconnue. En 1782-83 il se produit à Milan, créant le fameux Fra i due litiganti il terzo gode de Sarti qui lui permet de retrouver Nancy Storace, ainsi qu'à Rome pour Le Avventure di Don Fallopio de Tarchi. Il retourne à Vienne, mais cette fois-ci l'empereur désire monter une troupe italienne, et des meilleures !
Francesco Benucci s'impose donc tout naturellement comme un premier choix. Il est rejoint par la délicieuse Nancy Storace, ainsi que Stefano Mandini, Stefano Bussani et Michael Kelly. La très agile Caterina Cavalieri se joint également à la troupe, comme d'autres chanteurs germaniques (Ignaz Saal, Therese Teyber, Aloysia Lange...). On donne tout d'abord une nouvelle production de La Scuola dei gelosi de Salieri, et chacun l'admire, à commencer par Mozart qui écrit :
Voici que l’opera buffa italien a fait ici sa réouverture. […] le buffo est particulièrement bon, il s’appelle Benucci.
Le comte Zizendorf, dont les journeaux commentent fidèlement la vie musicale viennoise, évoque la basse avec éloges.
Après un bref séjour à Rome en 1783, Benucci demeure donc à Vienne jusqu'en 1795 et devient un pilier de la troupe. Il brille dans les œuvres de Sarti (le fameux Fra di due litiganti...), Bianchi, Anfossi, Martín y Soler, Salieri, Paisiello (l'inusable Barbiere di Seviglia) etc. Lorsque l'empereur cherche à faire des économies en 1786, alors que l'Autriche est en guerre, il précise à l'administrateur du Burgtheater que Benucci « vaut plus que deux Storace », opinion renouvelée au plus dur des combats en 1788, où il est même question de ne conserver que Benucci et les chanteurs allemands. Ce séjour à Vienne donne au chanteur l'occasion de fréquenter les meilleurs vocalistes, mais aussi des compositeurs comme Mozart, qui lui confie Figaro dans Le Nozze di Figaro, Guglielmo dans Così fan tutte avec la Ferrarese, et Leporello dans la première viennoise de Don Giovanni. Ces opéras ainsi qu'Una cosa rara de 1786, ou encore le pasticcio L'Ape musicale de 1789 sont de la fine plume de Lorenzo Da Ponte, poète impérial. Le plus grand succès local tient encore à la prestation de Benucci, qui assure le rôle titre d'Axur, re d'Ormus de Salieri en 1788. L'année suivante, la basse a la permission de se produire à Londres, par exemple dans La Vendemmia de Gazzaniga où il retrouve la Storace rentrée au pays. Néanmoins l'accueil n'est pas délirant et Vienne demeure le centre de ses activités, tant à la scène qu'en concert : il crée notamment Gioas d'Anton Teyber en 1786. Son dernier grand succès date de 1792, en comte Robinson du Matrimonio segreto de Cimarosa dans lequel brille Dorotea Sardi, dont la basse avait accompagné les débuts en Cherubino. Le spectacle plaît tellement que l'empereur fait bisser la représentation le soir même !
La troupe italienne est dissoute et la basse retourne en Italie à partir de 1795. Il chante encore pendant au moins cinq ans à Rome, Florence, Milan et Livourne où il donne Le Pescatrice de Guglielmi en 1799. Francesco Benucci se retire à Florence où il termine sa vie.
Le Berliner musikaliche Zeitung détaille ses qualités en 1793 :
Il avait un talent rare que peu de chanteurs italiens possèdent ; il ne versait jamais dans l’outrance. Même lorsqu’il portait son art aux extrêmes, il gardait une mesure qui l'éloignait de la comédie vulgaire.
Il faut dire que Benucci sait lire la musique, est bien éduqué, discret : on ne sait rien de sa vie sentimentale. Il entretient peut-être une liaison avec la Storace lorsqu'elle est à Vienne, bien que Kelly rapporte la laideur du chanteur. Le ténor le cite tout de même comme le meilleur chanteur comique d'Europe... avec lui-même ! Benucci est lié à une certaine Francesca Benucci, employée à Vienne en 1789-90 (notamment dans L'Ape musicale) ainsi qu'en Italie – ce serait sa nièce.
Quant à savoir s'il était basse ou baryton, avec une étendue environ sol1 – fa3, le débat reste ouvert tant les parties chantées par Benucci sont variées et exigeantes (Rivolgete a lui lo sguardo conçu pour Così fan tutte en témoigne). |