Quelle belle carrière européenne que celle de Carlo Angrisani !
Né à Reggio Emilia, Carlo est doté d'une belle voix de basse. Comme le veut l'époque, c'est dans l'opera buffa qu'il se spécialise avant tout, mais il met aussi son talent à des rôles plus sérieux. Angrisani semble débuter en 1784 à Turin, dans Il Filosofo impostore de Chiavacci. Vite reconnu comme un chanteur de premier plan, il écume les théâtres d'Italie pendant dix ans, chantant notamment les opéras de Paisiello : Il Barbiere di Seviglia à Crémone (1786) et Parme, Il Re Teodoro in Venezia à Parme et Bologne, La Nina à Vérone et Gênes, La Locanda à Venise et Brescia, La Grotta di Trofonio à Milan avec Louise Villeneuve (1788) et Monza, etc. Très présent à Milan et d'autres villes du Nord, il se fait aussi entendre à Rome pour le carnaval 1789-90 dans des pages de Tritto et Bianchi, ou encore Florence en 1793 dans Il Matrimonio segreto, dernier succès de Cimarosa tout juste créé à Vienne.
Justement, après un prestation à Trieste et 1794, Carlo et son frère Felice rejoignent la cité autrichienne, qui est l'un des premiers centres musicaux d'Europe. Carlo y débute dans Le Confusioni delle somiglianze de Portogallo, et reprend le rôle du comte Robinson dans Il Matrimonio segreto. Il participe à de nombreuses créations de Salieri, dont l'opera seria Palmira, regina di Persia, mais aussi le rôle titre de Fasltaff en 1799 ou l'année suivante le dramma eroicomico Cesare in Farmacusa, avec la Tomeoni et les basses Vogel et Saal. Les journaux sont critiques sur son chant à strictement parler, qui manque d'impact même s'il est un vrai buffone, d'ailleurs trop enclin aux effets faciles et triviaux.
De retour en Italie, il paraît dans Il Medico di Lucca de Nasolini à Vicence en 1803. Carlo chante à Vérone, Livourne, Mantoue, Ferrare, Bologne ou encore Florence, notamment des opéras de Weigl, Paër et Portogallo. Il retrouve bien évidemment Milan, où il crée des opéras de Zingarelli et Mayr avec Teresa Belloc, nouvelle étoile. En 1808, Carlo et son frère se produisent à Ancône, et le basse finit l'année à Bologne dans Il Maldicente de Pavesi.
Angelica Catalani le fait venir à Paris lorsqu'elle prend la tête du théâtre italien de l'Odéon : Carlo chante dans divers théâtres de la capitale entre 1809 et 1815, notamment Adolfo e Chiara de Pucitta, le commandeur dans Don Giovanni de Mozart ou Semiramide de Portogallo avec la Catalani et le ténor Crivelli.
Il chante aux Tuileries pour l'empereur Napoléon dans Gli Orazi de Cimarosa avec les légendaires Crescentini et Grassini ! Durant cette période, Carlo continue toutefois de paraître en Italie : en 1810 à Rome et Florence, puis en 1813-14 à Lucques, Modène, Bologne...
C'est à Londres qu'on retrouve la basse entre 1817 et 1822 environ. Il reprend les opéras de Mozart qui s'imposent au répertoire : on apprécie beaucoup son Sarastro, ainsi que Bartolo, Figaro, Masetto et le commandeur. Angrisani interprète aussi la nouvelle coqueluche européenne, Rossini : il est de la première locale du Barbiere di Seviglia en Don Basilio face aux amoureux campés par Fodor-Mainvielle et Garcia. On l'entend dans Tancredi et La Gazza ladra. Les journeaux apprécient généralement son talent comique et vocal : « a most excellent musician », écrit un journaliste.
Son destin le mène jusqu'aux États-Unis, jeune pays dans lequel la vie culturelle commence à s'organiser. Le vieux Da Ponte, qui y est installé depuis de nombreuses années, a le plaisir de voir cette basse renommée chanter Masetto dans son Don Giovanni, avec la troupe de Manuel Garcia, en 1826. En 1828, il est à New York, et un journal exprime alors « stupéfaction et plaisir à entendre les notes graves puissantes et moelleuses de la basse Angrisani, ou plutôt de son organe en tout point exceptionnel, comme nous n'en avons jamais entendu de pareil. »
Il semble revenir ensuite à Paris, puisqu'on repère un Carlo Angrisani distribué au théâtre Tivoli, dans un obscur Les Vendanges de Xères de Beramendi. Une longue et belle carrière pour ce chanteur, visiblement doué pour la scène dans la meilleure tradition du buffo caricato italien, mais aussi certainement doté d'un beau registre grave. |