Liste des sopranos

Liste des contraltos

Liste des castrats

Liste des tenors

Liste des basses

OSPEDALE DEI MENCICANTI

L'ospedale di San Lazzaro est fondé au début du XIIe siècle pour accueillir les lépreux, dont Saint Lazare est le patron. L'établissement est transféré sur l’île du même nom au milieu du XIIIe siècle, et ouvre ses portes aux mendiants à la fin du XVIe siècle, lorsque l'Europe échappe au fléau de la lèpre. Il s'appelle désormais Ospedale San Lazzaro dei Mendicanti, et dans l'usage simplement les Mendicanti. L’institution finit par s’établir dans Venise au début du XVIIe siècle : la construction des bâtiments, financée par des particuliers, prend une trentaine d'années.

Les Mendicanti sont strictement administrés, à l'instar des autres hospices. La direction est assurée par quatre présidents à la tête d'une congrégation de gouverneurs chargés de différents comités opérationnels. On décide opportunément, voyant l'intérêt de la ville pour le chant, d'investir dans la formation musicale : Carlo Fillago est engagé de 1635 à 1639, suivi par Rigatti (1639-1643) et Monferrato (1642-1676). Ces premiers musiciens vénitiens façonnent un effectif musical qui donne des célébrations liturgiques à divers moments de l'année, notamment le Carême, la Semaine sainte et la Sainte Marie-Madeleine. On introduit progressivement divers instruments, en recrutant des maestri pour former les pensionnaires : à l'époque de Fillago, seul l'orgue était autorisé ! Le motet suivant publié par Rigatti en 1643 n'est pas explicité destiné aux Mendicanti, mais donne une idée du style des compositions interprétées par les pensionnaires :

L'avènement de la musique aux Mendicanti

Ospedale dei Mendicanti, par GuardiLe niveau fait certainement un bond qualitatif quand on engage ensuite l'excellent Legrenzi (1676-1682). Partenio lui succède brièvement de 1685 à 1689, suivi de Francesco Rossi puis du maestro Biffi, qui dirige le chœur pendant une trentaine d'années à partir de 1699. Un premier oratorio de Legrenzi crée l’événement en 1687 : il s'agit de L’Erodiade, qu'entend le prince-électeur de Bavière avec satisfaction, récompensant généreusement l'institution – c'est tout le sens de la manœuvre. L'œuvre est en italien, tout comme Tommaso Moro de Neri l'année suivante. Les Mendicanti proposent un oratorio latin en 1690 avec Davidis conversio, pour ne jamais l'abandonner ; au contraire, l'exemple est suivi par tous les autres hospices. Legrenzi ou encore Lotti, maîtres locaux, ne collaborent que ponctuellement avec l'institution.
Côté pensionnaires, vers 1702, on admire Cattina, Vienna, Cecilia, Antonina ou encore Giulia. Cette Antonina était déjà signalée comme le principal attrait de l'hospice par le Guide des étrangers en 1697. On peut aussi signaler les musiciennes Maria Caruzzi, Lucrezia Vitalba, et signaler Fiorina, Maddalena, Prudenza, Teresa, Orsetta et une Maria Padovana. Maria Canuti se fait particulièrement remarquer. Les grandes maestre des Mendicanti dans la première moitié du XVIIIe siècle s'appellent Antonia Moretti (la fameuse Antonina ?), Anna Maria Ziani (soprano et violoniste) et Fiorina Amorevoli. Cette dernière est maestra di coro (1733 au moins) puis prieure jusqu'à sa mort en 1761.Visiteur de marque, Rousseau déclare des Mencidanti : « Je n'ai l'idée de rien d'aussi voluptueux, d'aussi touchant que cette musique », et affirme que les chanteurs d'opéra viennent s'y inspirer. Le répertoire de l'époque est peu connu, et l'on ne connaît guère d'oratorios, si ce n'est sans doute le Manna in deserto de Biffi donné en 1723. Les sirènes des Mendicanti devaient donc séduire dans les psaumes, messes et motets accompagnant la liturgie traditionnelle.

Années 1730 – 1750 : Saratelli et Galuppi

C'est la très grande époque des ospedali, dont la réputation gagne toute l'Europe. On les visite, on compare leurs talents... Charles de Brosses écrit en 1739 :
Mais mes amis, je crois que personne ne nous entend et je vous dis que la Margarita des Mendicanti la vaut bien, et me plaît davantage.
Baldassare GaluppiIl arrive en effet au bon moment, car les Mendicanti recommencent à donner des oratorios : c'est le cas de Madgalenae conversio cette même année, avec Giovanna Cedroni, Margherita Doglioni et Margherita Bonafede. Cette dernière, admise en 1733 comme Giovanna, est peut-être l'objet de l'admiration du visiteur français ? Bonafede est un des fleurons de l'établissement jusqu'au milieu des années 1740, tandis que Cedroni se produit plus longuement, tout comme la Doglioni (la favorite de Brosses ?). On entend aussi Maria Marchi, Elisabetta Capponi, et Santina Sanzana. Le Muse in gara de 1740, œuvre profane de Paradies, est l'occasion de mêler cette ancienne génération et de nouvelles chanteuses.
En cette période de surenchère musicale, l'influence napolitaine est moins sensible aux Mendicanti que dans les théâtres de la Sérénissime et les autres hospices, séduits par Porpora et Hasse : à Biffi avait succédé un Saratelli (1732-1739), auteur de l'oratorio précité, et surtout le plus grand compositeur vénitien de l'époque, Galuppi. Ce dernier sert les Mendicanti de 1740 à 1752. Parmi les grandes solistes de cette époque figurent Girolama Tavani (1739-1748), la contralto Giustina Garganega (admise en 1741, soliste de 1745 à 1756), Angela Cristinelli, Sofia Sopradaci et Giovanna Zanetti (A). Admise en 1744 et soliste dans l'oratorio dès 1747, Beatrice Fabris s'impose toutefois comme le grand soprano de l'institution jusqu'en 1769, forte d'une belle agilité sur deux octaves jusqu'au contre-ut. Elle débute toute jeune encore dans Jahel de Galuppi, avec Tavani, Cristinelli, Garganega, Cedroni et Sopradaci.

L'ère Bertoni

En 1752, Galuppi passe le flambeau à un autre excellent compositeur vénitien, comme Galuppi joué dans les théâtres européens et appelé à San Marco : Ferdinando Bertoni. Celui-ci porte les Mendicanti infatigablement jusque dans les années 1790, avec pléthore de compositions, dont un Miserere aussi populaire et repris que celui de Hasse aux Incurabili (voir ci-dessus). L'ère Bertoni est marquée par l'arrivée de solistes talentueuses : Angela Caliari (admise en 1748, soliste de 1752 à 1769), la soprano Santa Suardi de 1752 à 1769, Domenica Vicentini, et surtout en 1756 la soprano Laura Risegari, puis l'année suivante Francesca Tomii, (soprano ou contralto ?) fille des chanteuses Pellegrino Tomii et Antonia Negri, active jusqu'en 1793 ! Ces deux dernières sont les plus réputées des Mendicanti. Dans les années 1760 arrivent aussi Teresa Cocconi, Giacoma Frari et surtout l'excellente contralto Achiapati ; Parasceve ad sepulturam corporis D.N.J.C. de Bertoni, en 1764, réunit Lelia Achiapati, Tomii, Vicentini, Risegari, Cocconi, Almerigo et Fabris. On peut considérer que cette période correspond à l'ascension de cet ospedale. Aux Mendicanti comme ailleurs, la tendance est à l'accueil de filles non orphelines mais bonnes musiciennes... Des quotats sont établis, les réglements amendés en ce sens. Les hospices deviennent presque explicitement des conservatoires de musique. C'est bien ainsi que Charles Burney voit les choses quand il s'arrête à Venise en 1770 pour écrire The Present State of Music in France and Italy : sa réputation le précède et il obtient la permission de voir les figlie des Mendicanti pour un concert spécial donné en son honneur. Après avoir décrit la richesse de l'orchestre, la présence de la prieure, le talent d'Antonia Cubli au violon ou de la maestra Francesca Rossi au clavecin, il observe :
Le chant était excellent dans différents styles ; Laura Risegari et Giacoma Frari avaient une voix très puissante capable de remplir un vaste théâtre ; elles chantèrent des airs de bravoure et des scènes majeures d'un florilège d'opéras italiens ; Francesca Tomj [...] et Antonia Lucovich (celle-ci d'origine slave), dotées de voix plus légères, se cantonnèrent principalement à des airs pathétiques, de goût et d'expression.

Le chant du cygne des ospedali, apogée des Mendicanti ?

En 1776, la faillite des Incurabili, le plus admirable hospice de l'époque, se répercute sur tous les ospedali vénitiens. Étant donné leur situation financière, ils sont placés sous la tutelle des autorités et c'est dans ce cadre que les Mendicanti poursuivent leurs activités musicales.
Maria Vincenza MarchettiNous l'avons dit, les Incurabili ne leur font plus concurrence et la Pietà brille par son orchestre mais l'âge d'or est passé et il ne lui reste qu'une réputation flatteuse. La course se joue alors entre l'Ospedaletto et les Mendicanti. Les deux institutions sont très admirées et disposent d'excellents éléments ; néanmoins il semble que les Mendicanti l'emporte et bénéficie du meilleur crédit pendant le dernier quart du siècle, grâce au talent de Bertoni – pourtant nettement moins actif après 1780, après quoi on fait appel à divers auteurs, dont Anfossi – mais aussi d'une génération de chanteuses excellentes. Excellentes au point que bon nombre séjournent relativement peu dans l'établissement et embrassent une carrière professionnelle à succès en Europe, notamment la contralto Achiapati et les sopranos Vincenza Marchetti (ci-contre), Adriana Ferrarese (toutes deux collaboratrices de Mozart) et Cecilia Giuliani. Giuliani et Ferrarese s'illustrent par exemple dans De morte Sisarae chananeorum ducis d'Avanzini en 1780. Violoniste et compositrice admirée dans toute l'Europe, Maddalena Lombardini-Sirmen est également issue des Mendicanti. Normalement, ces artistes auraient dû renoncer à une carrière musicale après leur sortie de l'hospice ! Mais les difficultés financières font qu'il est désormais plus facile de démissionner : admise à 14 ans en 1775 la Marchetti brille dans de nombreux oratorios de Bertoni, Paisiello, Bianchi, etc. mais on la laisse partir sans problème en 1781. Elle chantera ensuite notamment pour Reichardt, qui déclare que les Mendicanti disposent des plus belles voix d'Italie. Goethe, pourtant habitué au beau chant, n'avait « aucune idée de voix pareilles ». Du reste, le Britannique William Beckford en visite dans la Sérénissime dit son admiration pour la Marchetti et poursuit : « Il y peu de choses que je regretterai tant à Venise que ce conservatoire. »

Parmi les fidèles à l'institution dans ce dernier quart du siècle, l'une des plus réputée est la soprano Antonia Giacomina Lucovich, qui chante de 1767 à 1785 et officie comme maestra. Autres étoiles du lieu : Theresia Almerigo, intégrée en 1759 et pilier des oratorios de 1763 à 1797 ! Sans doute plus modestes sont Lucia Cassini (S), Cecilia Martinelli (A), Catarina Contiero (S), Aurelia Barbaran (S), Luigia Galdarini (S) et Rosalinda Marconi dans cette ultime génération des Mendicanti. Le Davis poenitens de Bertoni, en 1775, rassemble notamment Lucovich (rôle titre), Risegari, Almerigo, Tomii, Barbaran, Martinelli et Cassini. L'empereur Joseph II survient impromptu pendant l'exécution et passe du temps avec les figlie ! En 1784, Sedecias d'Anfossi affiche Tomii, Lucovich, G. Pavan, Cassini et Almerigo. À la très fameuse Francesca Tomii (active de 1757 à 1793) succède Bianca Sacchetti. Cette contralto s'impose comme le dernier fleuron des hospices vénitiens dans les années 1780 et 1790, chantant alors les derniers compositeurs mis à contribution (Gardi, Gazzaniga, Bianchi, Manfredini, etc.), surtout Mayr, avec l'excellente soprano Giovanna Pavan (et sa parente Maria Pavan). Sacchetti, reconnue comme le dernier exemple de l'art des ospedali, est littéralement la gardienne du temple et referme les portes des Mendicanti en qualité de prieure avec la fin de la république vénitienne en 1797, alors qu'on redonne une dernière fois Ninive conversa d'Anfossi.


Quatuor de Tobiae matrimonium

Pour en savoir plus sur certaines vedettes des Mendicanti, voir les fiches correspondant aux chanteuses suivantes :
Bianca Sacchetti ; Lelia Achiapati ; Maria Vincenza Marchetti ; Cecilia Giuliani ; Adriana Ferrarese

Jahel B. Galuppi 1747
pour Garganega (Barac), Cristinelli (Deborah), Sopradaci (Sisara), G. Cedroni (Nabal), Tavani (Jahel), Fabris (Haber)
Orchestra barocca di Bologna & Cappella Artemisia dir. P. Faldi – retransmission de concert, Regensburg 2013
A rupe alpestri ad vallem B. Galuppi 1747
pour Giustina Garganega (A)
G. Lesne, Il Seminario musicale – CD Virgin classics 1994
Miserere en C mineur F. Bertoni 1754
pour Fabris (S), Suardi (S), Cristinelli (S), Doglioni (S), G. Micheli (A), P. Taccioli (A), Garganega (A),
[Édition 1802] Radiokören Stockholm, I Solisti veneti dir. C. Scimone – CD Erato
David poenitens F. Bertoni 1775
pour Teresa Almerigo (Betsabea)
Air Ma se peccasti ingrato. Réduction pour piano : S. Armani, A. Orvieto – Contro il destin che freme, CD Dynamic 2016
Susanna G. Gazzaniga 1787
Air Ah si ponem. Réduction pour piano : S. Armani, A. Orvieto – Contro il destin che freme, CD Dynamic 2016
Jacob a Labano fugiens G.S. Mayr 1793
pour Sacchetti (Jacob), Almerigo (Laban), G. Pavan (Rachel), Paroni (Lia), M. Pavan (Pastor)
Accademia I Filarmonici di Verona dir. F. Hauk – CD Naxos 2011
Maria quaerit Christum filium J. Haydn 1792
pour Bianca Sacchetti (A)
D. Mazzola-Gavazzeni, Orchestra Camerata dei Laghi dir. P. Cattaneo – Interprétation en ligne sur Youtube
Sisara G.S. Mayr 1793
pour Sacchetti (Sisara), Almerigo (Debora, Tamar), G. Pavan (Jahel, Dina), Marcolini (Barac, Elcana), M. Pavan (Abra, Aera)
Accademia I Filarmonici di Verona dir. F. Hauk – CD Guild
Tobiae matrimonium G.S. Mayr 1794
pour Sacchetti (Tobias), G. Pavan (Sara), M. Pavan (Maria), Contiero (Raguel), Marcolini (Raphael)
Simon Mayr Chorus and Ensemble dir. F. Hauk – CD Naxos
David in spelunca Engaddi G.S. Mayr 1795
pour Sacchetti (David), G Pavan (Saul), Contiero (Michol), Galdarini (Jonathas), Almerigo (Abner)
Simon Mayr Chorus and Ensemble dir. F. Hauk – CD Naxos 2008